C'est avec un frémissement le long de l'échine que j'ai savouré les premières minutes qui suivirent la sortie de "Risques et périls", l'anthologie que j'ai élaborée à partir du millier de poèmes et de proses poétiques écrits depuis l'adolescence. Certes, il y a des textes qui ont vu le grand jour (publiés en revue, en recueil ou sur l'un de mes blogs littéraires) mais aussi d'autres, la majorité, qui se froissaient, distraitement mélangés à des factures, au fond d'un tiroir de la salle-à-manger. Les années passant, j'ai voulu éviter de reproduire la même erreur que Serge Montigny qui refusa à de multiples reprises que l'on publie ses carnets car il s'imaginait que cela se ferait naturellement après sa mort. Ainsi, une grande partie de son œuvre a subi un enterrement de première classe après avoir été déposée aux archives départementales de Lot-et-Garonne quelques mois après son décès. Ne voyez aucune arrogance d'écrivain raté dans cette manière de présenter les choses : je sais bien qu'en ce début du troisième millénaire la diffusion de poésie reste confidentielle et qu'aujourd'hui il y a arithmétiquement plus d'auteurs de poésie que de lecteurs. Il est évident que d'autres canaux se montrent plus efficaces que l'édition papier mais tenir un livre - si possible un beau livre - entre ses mains, le feuilleter à son propre rythme, demeure une expérience irremplaçable. Lire les mêmes textes sur l'écran d'un smartphone ou d'une tablette ne produit pas la même magie. Ceux qui ont tenté l'expérience me comprendront. Si ce n'est pas la première fois que je publie un livre, pour moi celui-là est vraiment différent de tous les autres car il rassemble le début et la fin de toute chose et j'espère qu'il saura trouver une place de choix dans quelques bibliothèques d'amis choisis. J'en profite pour remercier Marie Caredda et Christian Cottet-Emard de leur soutien indéfectible à chaque étape de ce projet.
Voici la transcription de la préface que Pierre Tesquet m'écrivit en 1986 au moment de la parution de mon recueil le plus important, "Anatomie du vol d'un épervier". Cette lecture très pertinente reste valable pour chacun des autres ouvrages qui ont suivi puisque mon univers n'a pas changé au fil du temps, il s'est seulement enrichi de nouvelles figures emblématiques :
« Personne n'écrit pour s'assurer la célébrité qui est quelque chose de transitoire, autrement dit une illusion d'immortalité. Avant tout, nous écrivons pour satisfaire quelque chose à l'intérieur de nous-même, non pour les autres. »
J'ai immédiatement pensé à ces phrases de Freud en lisant un recueil de Bernard Deson paru en 1986 : .
Bernard Deson n'écrit pas pour fixer une pensée déjà élaborée. Peut-être même hésite-t-il entre le simple désir de vivre et le besoin ô combien mystérieux d'assembler des mots. Je crois plutôt que l'écriture le conduit vers ce lieu où, par-delà les gestes, les actes affichent leur véritable portée.
Je considère les pièces, ci-après proposées, comme des stigmates, des blessures infligées par le Dieu-Langage qu'on n'approche pas sans savoir redonner aux mots (de passe) un sens nouveau. Et puisqu'il est question de Dieu, les pages qui suivent me paraissent être des sortes de célébration, à l'occasion en forme de comptine (« Les Huns étaient deux) ou en forme de jeu étymologique : Bernard Deson écrit « archéo-logique » comme Claudel écrivait « co-naissance ». Il arrive que la langue anglaise vienne à la rescousse. « Naître à l'amer » et « mourir d'amer », doivent se lire, bien sûr, « naître et mourir d'aimer » et, dans ce dernier cas, il convient de se « lover » dans sa mort, « love » ayant, en anglais, le sens que l'on sait.
L'allitération devient omniprésente : « aucun fard pas plus que d'effarement », « émeutes meurtrières », « entre brises et brisants », etc. Je rapprocherai de l'allitération la reprise d'une strophe ou la répétition d'un mot familier comme « hormis ».
On lit ces poèmes – allez, le mot est lâché – à la manière d'un promeneur soucieux d'assurer son pas sur un sentier rugueux ; les mots coruscants rendent l'esprit du lecteur vigilant. Je relève et cite en vrac : « constricteur, fortitude, nyctalope, térébrante » et, ce cas limite, « je drogue cette rescription ».
Dans l'univers de Bernard Deson l'homme donne leurs qualités et leur pouvoir de signifier aux choses qui, en revanche, ont le privilège de s'adresser à lui avec sa propre voix. L’œil est roi parce qu'il crée et ouvre les portes d'un savoir, bien qu'on rappelle fort à propos, que toute connaissance authentique s'obtienne par la fusion du sujet et de l'objet et non par une illusoire approche extérieure. Ceci d'autant plus que le sujet et l'objet relèvent de la même nature et que les caractères du Tout se retrouvent en chacun de ses éléments.
Comme Eluard, Bernard Deson pourrait parler de ses mains lieuses. Il avoue son besoin de toute chose et de son contraire. Il excelle à tout rapprocher dans un monde où le Bien et le Mal ne sont plus irréconciliables et où, malheureusement, les yeux sont témoins de leur arrêt de voir et les aras, muets. Une entreprise totalisante s'impose. Le souci de réduire les contradictions explique, je suppose, le rôle joué par l'Arbre – être androgyne, synthèse de tous les éléments et symbole de régénérescence.
Il existe dans tout le livre une tendance à l'élévation que la présence, ici d'un paysage, là d'un écheveau de sensations, ailleurs de la jeunesse et de l'amour, préserve de tomber dans une excessive cérébralité.
Bernard Deson me semble pris dans une espèce de dualité dont il se libère en mettant en œuvre quelque violence – évidemment morale. Dès lors, il est autorisé à faire allusion au vol, à l'effraction et à des coups d'incisives.
L'auteur se transforme, vraiment comme il le souhaite, en passe-muraille. Avec l'arbre et l’œil, le mur est le troisième symbole actif de ce livre. Cocteau imaginait un rêveur qui rêvait d'un autre rêveur lequel à son tour… Bernard Deson s'en tient à un mur qui en abrite un autre. Dans les deux cas, il s'agit des mêmes limites à franchir pour rompre à la fois avec la sécurité et l'enfermement, la quiétude et la séparation. Alors, je ne m'étonne plus d'apprendre « qu'honnir les secrets trop bien gardés, telles seront les règles ».
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- Editeur : Orage-Lagune-Express
- Langue : Français
- ISBN-10: 1539824349
- ISBN-13: 978-1539824343
- Dimensions du produit: 15,6 x 1,5 x 23,4 cm
- Prix: 13,50€