Magazine Humeur

Françoise Houdart, "L'amie slovène", Editions Luce Wilquin, 2011

Publié le 01 novembre 2016 par Feuilly

Magnifique roman que celui de Françoise Houdart, « L’amie slovène » que je referme à l’instant. C’est un livre sur le temps qui passe et sur l’amitié, qui reste plus forte que ce temps qui cherche à séparer les êtres. Laura a fui la Belgique pour retrouver ses racines en Slovénie. Là, devenue Lara, elle apprendra le slovène, cette langue que sa mère a refusé de lui parler depuis qu’elle est petite. Ce retour aux sources est donc une manière de se reconstruire et de trouver une identité. Mariée et devenue mère, elle entretient une relation épistolière ou téléphonique avec Sarah, son amie belge. Les années défilent et les deux femmes sont tellement prises par leur propre vie (les enfants, la guerre, la maladie, la mort) qu’elles ne trouvent jamais le temps de se revoir. A moins qu’elles ne l’aient pas vraiment voulu. En effet, si leur correspondance ne s’est jamais interrompue, il est clair qu’elles ne se sont pas dit l’essentiel et qu’il reste des zones d’ombre, des non-dits, des silences.

Pourtant, après plus de trente ans de séparation, Sarah décide d’aller revoir son amie. Elle laisse là son mari et prend l’avion pour la première fois de sa vie, la peur au ventre. Peur de ce premier vol, sans doute, mais peur aussi de ce qu’elle va trouver à son arrivée. Laura/Lara sera-t-elle devenue une étrangère pour elle ? L’attendra-t-elle seulement à l’aéroport ? Mais oui, elle est là et durant trois jours les deux femmes vont se (re)découvrir. Lara va se mettre à parler. Elle racontera son arrivée en Slovénie pour fuir un amour impossible en Belgique, son mariage heureux avec Ivan, mais aussi la guerre d’indépendance et le conflit avec la Serbie. Elle dira aussi la mort d’Ivan, emporté par la maladie et la solitude qui est la sienne aujourd’hui.

Durant ces trois jours, Lara fera découvrir son pays à son amie, depuis la douceur de la côte adriatique jusqu’à l’hiver glacial et enneigé de Ljublana. Car tout se joue sur le thème de la dualité, dans ce roman. Il y a deux pays (la Belgique et la Slovénie), deux temps (un avant et un après), deux langues (le français et le slovène). Les mots ont une importance primordiale. Car si Sarah est écrivain (elle enregistre d’ailleurs la conversation de son amie pour en faire plus tard un roman, qui est finalement celui que le lecteur tient en main, dans une sorte de mise en abime), Lara est traductrice. Et si les mots ont permis aux deux amies de conserver le contact pendant plus de trente ans, c’est aussi par les mots qu’elles vont se redécouvrir. Car chacune a changé au cours de toutes ces années. La vie a laissé ses traces et de petites rides sont apparues sur leurs deux visages. Mais l’amitié est toujours là, même si bien des choses n’ont pas été dites et si bien des secrets sont restés cachés.

Car Sarah avait une amie qui s’appelait Laura et c’est Lara qu’elle découvre dans ce pays étranger pour elle. Pourquoi avoir amputé son prénom d’une lettre ? Pour devenir autre et être une vraie Slovène, en reniant sa jeunesse passée en Belgique. Mais cela veut dire aussi que Lara a fui ce qui avait constitué cette jeunesse et qu’elle a renié une part d’elle-même. Durant ces trois jours, grâce à Sarah, elle va renouer avec son passé et tenter de concilier ses deux identités.

En attendant, elle lui montre les endroits qui ont compté dans sa vie (paysages, villes, ponts, maisons, etc.), ce qui permet de montrer avant d’oser dire. Car il faut du temps pour que les mots reviennent, il faut du temps pour oser se dire et se raconter à l’amie. Parfois, Lara s’aide de vieilles photos conservée dans une boîte pour rafraîchir sa propre mémoire. Alors elle raconte sa vie, ses joies, ses souffrances. Sarah, qui n’avait jamais compris comment cette jeune fille libre et libérée qu’était Laura avait pu venir s’enfermer dans un pays austère comme la Yougoslavie, découvre que la réalité était tout autre. Lara était libre d’aller où elle voulait et elle a d’ailleurs beaucoup voyagé à l’étranger avec son mari. Elle est même revenue quelques jours en Belgique au moment de la guerre d’indépendance. Pourquoi alors ne l’a-t-elle pas dit ? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à la revoir alors qu’elle était si près ? Il était donc grand temps que les amies se retrouvent et se parlent. Et c’est là toute la beauté de ce livre : cette manière de se retrouver, de se réapproprier l’amitié, par petites touches discrètes et pudiques.


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