Un article spécial BD aujourd'hui puisque j'ai reçu ces deux fabuleux albums pour mon anniversaire. Deux superbes lectures, très différentes l'une de l'autre mais émouvantes chacune à leur manière. Viennent s'ajouter deux autres albums empruntés à la bibliothèque et lus pendant mes vacances.
Guerrière apache ou sirène hollywoodienne, gardienne de phare ou créatrice de trolls, gynécologue ou impératrice, les Culottées ont fait voler en éclat les préjugés.
Quinze portraits de femmes qui ont inventé leur destin.
Margaret, actrice " terrifiante ", spécialisée à Hollywood dans les rôles de méchante ; Agnodice, gynécologue de l'Antiquité grecque qui dut se déguiser en homme pour exercer ; Lozen, femme apache, guerrière et chamane ; Annette, sirène australienne qui inventa le maillot de bain féminin... Pénélope Bagieu brosse avec humour et finesse quinze portraits de femmes, combattantes hors normes, qui ont bravé la pression sociale de leur époque pour mener la vie de leur choix.
Rappellez-vous, je vous avais déjà parlé des Culottées de Pénélope Bagieu cet été. En effet, ces planches ont d'abord été publiées sur le blog de la dessinatrice avant d'être regroupées en album. Il s'agit ici du Tome 1 qui reprend des portraits retracées par l'auteur. Un autre tome viendra les compléter.
J'avais déjà eu un gros coup de coeur pour la version web de ce projet mais la BD est encore plus réussie. L'album est un vrai petit bijou, la couverture en relief et brillante en fait un objet d'art. Le contenu, lui, est génial. Ces portraits de femme forcent le respect et l'admiration. Bien souvent très émouvantes, ces histoires de femmes courage n'en restent pas moins amenées de manière toujours très drôle par le trait et l'humour de Pénélope Bagieu qui, plus les années passent, devient une véritable référence de la BD.
Son trait reconnaissable entre tous, ses couleurs flashy, la maitrise de ses dessins mais aussi un véritable engagement pour la cause féministe (débuté avec la fabuleuse BD California Dreaming). Tout est là.
La " môme " des chansons de Renaud, celle qui mit de la poésie et de la tendresse dans le répertoire du " loubard ", c'est Lolita Séchan. Fille d'un emblème de la musique française et filleule de Coluche, Lolita Séchan s'inscrit dans la veine de ses illustres aînés mais c'est dans la littérature qu'elle choisit de s'exprimer. Et plus particulièrement dans le dessin.
Dans cet album on apprend beaucoup de choses sur cette jeune femme, elle y livre une partie de sa vie, de sa construction d'adulte.
Cela débute par son tout premier voyage au Vietnâm. La jeune femme sort de l'adolescence dans une sorte de brouillard épais à travers lequel elle ne se trouve pas. Elle se cherche, remplie de doutes et d'angoisses. Elle décide alors d'aller voir ailleurs si elle y est et choisit le Vietnam comme destination. Sur place, aucune révélation jusqu'à ce qu'elle rencontre Lo Thi Gom, une jeune Hmong dans le petit village de Sapa. Les Hmong représentent une minorité au Vietnam qui les déconsidère. Les Hmong n'ont accès ni aux écoles, ni aux hôpitaux... La BD met l'accent sur ces inégalités mais c'est surtout le coup de foudre amical entre les deux jeunes femmes qui sert de trame à l'histoire.
Ces deux personnes que tout oppose se sont trouvées et une sorte de force invisible pousse Lolita a revenir chaque année, durant 10 ans, revoir son amie.
Elle s'offre alors une sorte de bouffée d'oxygène. Loin de Paris, loin de sa famille, de ses amis, Lolita à qui tout fait peur s'échappe à Sappa pour retrouver celle qu'elle considère comme son petit prophète.
Dans cet album on découvre certaines facettes du Vietnam, de l'évolution de ce pays et de ses traditions. Lo Thi Gom tente d'ailleurs de lutter contre le poids de cette tradition, de ces inégalités qu'elle et son peuple subissent.
Mais ce roman graphique est aussi une autobiographie de Lolita Sécha. Elle s'y livre sans compter, mettant le doigt avec beaucoup d'ironie sur ses névroses. La jeune femme a peur de tout, de grandir, de mûrir, de mourir aussi (elle est un poil hypocondriaque !), de rester, de partir, d'aimer, d'être aimée... Elle parle beaucoup de sa maman, qui la couve telle une maman louve, de son papa, le très connu Renaud lui même en proie à ses propres tourments et pour qui sa fille s'inquiète sans cesse. Elle parle de son désarroi face à cette drôle de famille, de l'arrivée de son petit frère, de ses ruptures, de ses blessures. Elle raconte sa rencontre avec Renan Luce devenu son mari et le père de sa petite fille. Le tout avec une grande pudeur, sans cacher l'identité de ces personnages médiatiques mais sans jamais trop en dire.
Elle raconte comment cette amitié hors norme l'a façonnée et l'a aidée à devenir la dessinatrice et auteur qu'elle est aujourd'hui, travaillant aux côté de Pénélope Bagieu, de Boulet et de bien d'autres.
Un très bel album, tout en noir et blanc, au dessin très fin et poétique.
Le rapport de Brodeck de Manu Larcenet - Tome 1 & 2
Manu Larcenet s'attaque pour la première fois à une adaptation, celle du chef-d'oeuvre de Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck. Mais lorsque l'auteur de Blast et du Combat ordinaire s'empare du texte, c'est pour le faire sien et lui donner une nouvelle vie, éclatante, sombre et tragique. Des pages d'une beauté stupéfiante, magnifiant la nature sauvage et la confrontant à la petitesse des hommes ; une plongée dans les abîmes servie par un noir et blanc sublime et violent.
Dans le même style épuré et sublime que sa série Blast, Le rapport de Brodeck confirme la patte sombre de l'auteur.
Les visages ont la même noirceur, la même souillure, les mêmes regards, la même émotion. La même violence aussi même si l'histoire, elle, diffère.
Je n'ose imaginer à quel point le roman de Philippe Claudel doit être dur tant déjà la BD laisse un goût amer. L'âme humaine dans ce qu'elle a de plus terrifiant. L'indifférence, l'intolérance, la peur de l'autre, de l'inconnu, la bêtise, la souffrance... c'est une véritable plongée dans les tréfonds de ce que nous avons de pire en nous.
Brodeck vit dans un petit village que l'on imagine aisément proche de la frontière allemande. Il y a eu la guerre, la déportation, les stigmates des conflits, des humiliations que tous portent en eux. Chacun tente de survivre au milieu d'une nature aussi belle qu'hostile. Plus personne ne vient jamais jusqu'à eux, tous vivent en vase clos jusqu'au jour où un inconnu franchit les portes de la ville.
Remontent alors les souvenirs de l'occupation, les traitrises des uns, les souffrances des autres. Accueillis comme le signe d'une ère nouvelle, cet inconnu, cet étranger, deviendra au fil des jours une énigme, une incompréhension, et comment réagir face à l'inconnu lorsque la peur nous gouverne si ce n'est...par la violence.
Ce récit fait évidemment écho à bien d'autres et à bien des situations sociétales actuelles. Et cela fait peur. Très peur.
Un tout autre style pour cette BD tout en couleur, en rondeur, en visages, en dégradé de bleu et en dialogue plein de tendresse et d'humour.
Chacun se reconnaitra dans cette tranche de vie, dans cette journée à la mer comme nous en avons tous connus au moins une fois dans notre vie.
L'album débute par ce que nous subissons tous lorsque nous partons en vacances : la route. La route pour " aller à la mer ", les bouchons (ou pas), le train, l'attente, l'énervement des uns, la patience des autres. Ceux qui roulent vite, ceux qui roulent pépère ou ceux qui choisissent d'arriver la veille.
Et puis, l'objectif de tous : la mer ! ET c'est alors que le lecteur, mi-amusé mi-dubitatif, se retrouve plongé dans l'ambiance maritime. Une plage comme il en existe des centaines, voir des milliers, ses serviettes, ses maillots de bain, ses pâtés de sable... Les enfants dont les yeux scintillent face à toutes les tentations du bord de mer, les parents qui portent le barda et tentent de calmer les troupes, les couples et ceux en devenir, les " vieux " avec leur chien, les pêcheurs à pied, les nudistes, les tatoués, les huilés, les blancs becs et les bronzés.... Ce qui se passe sur le sable mais aussi sous l'eau. Et cette marée qui monte et rythme les journées.
Un tendre portrait de vacanciers à la fois drôle et poétique, tendre et caustique.