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Julia Palombe déploie les ailes du désir

Publié le 29 octobre 2016 par Savatier

Julia Palombe déploie les ailes du désirChanteuse, danseuse, auteure, chroniqueuse, Julia Palombe est une artiste pluridisciplinaire qui, chaque fois qu'elle s'exprime, semble vouloir donner un grand coup de pied dans la fourmilière d'une société bien-pensante. Les titres de ses chansons (J'aime mon vagin, Le Burkunu, Les Vierges d'ici-bas...) mettent en lumière le fil conducteur de sa création : le sexe sous sa forme la plus libre, ludique, hédoniste. Rien d'étonnant, dès lors, qu'elle se soit intéressée à la condition sexuelle de ses contemporains dans un pamphlet, Au Lit citoyens ! (Hugo Doc, Blanche, 128 pages, 9,99 €) dont le sous-titre ne laisse aucune ambigüité sur sa veine militante : " Le Manifeste contre la société de la mal-baise ".

L'auteure possède le sens de la formule ; après avoir détourné le premier vers du refrain de la Marseillaise, elle revisite la devise nationale, devenue sous sa plume " Liberté, égalité, sexualité ". Jean Yanne avait déjà utilisé ce slogan dans son hilarant film satirique Moi y'en a vouloir des sous ; nous étions en 1973 et la France découvrait les perspectives qu'ouvrait la liberté sexuelle. Or, c'est précisément au dévoiement de cet héritage de 1968 que s'attaque Julia Palombe dans un constat sans appel : " En 50 ans seulement, nous sommes passés du glorieux " Jouissez sans entraves ! " au comminatoire " Jouissez ! " " Elle aurait aussi bien pu citer des diktats opposés tout autant à la mode : " ne jouissez pas " ou encore " attendez un paradis très hypothétique pour jouir ". Sur le banc des accusés de cette dérive, l'auteure fait figurer pêle-mêle le consumérisme sexuel dont le modèle économique se calque sur celui de la restauration rapide, le cybersexe marchand et son cortège de réalités virtuelles, l'hygiénisation à outrance, l'infantilisation permanente dans laquelle nous maintiennent les Princes, la promotion du couple fécond hétéronormé et le retour des dogmes religieux, sans compter les injonctions à la performance (libéralisme oblige) relayées par les magazines et leur " prêt-à-jouir " sous forme de fiches-conseils. L'acte d'accusation aurait pu s'étendre au concept d'homo festivus développé par le regretté Philippe Muray, qui impose l'ubuesque situation d'une fête supposée permanente, mais encadrée par les règles puritaines d'une bienséance vaguement bobo laquelle, par exemple, fait de Paris-Plage la seule station balnéaire française où les seins nus sont interdits.

Pour lutter contre cette " mal-baise " qui rappelle singulièrement la " mal-bouffe " contre laquelle guerroyait Jean-Pierre Coffe, l'auteure propose dix commandements. L'allusion au décalogue (dont pas moins de deux interdictions touchaient la sexualité) doit naturellement se lire au second degré. Un espace de liberté dont la limite répond à la seule notion juridique du consentement ne saurait s'encombrer d'oukases. Chaque chapitre fournit surtout des pistes de réflexion dont chacun tirera les enseignements qu'il souhaite pour passer de la simple consommation au désir et au plaisir, comme on abandonnerait un hamburger-frites pour les joies plus raffinées d'un filet de sole à la dieppoise. Ils se composent d'un énoncé principal, souvent appuyé de citations littéraires, de témoignages personnels et d'un texte conclusif intitulé " Macholand " dans lequel Julia Palombe croque avec une dose variable de férocité quelques antihéros croisés au cours de sa vie - in cauda venenum !

Le style, alerte, direct et drôle, car l'auteure n'a pas, si l'on peut dire, la langue dans sa poche, rend la lecture de cet essai assez jubilatoire. Bien sûr, le monde idéal qu'elle appelle de ses vœux, où la liberté sexuelle et le plaisir seraient un droit, relève d'une utopie qui se heurte aux inerties et aux oppositions les plus diverses. Mais le discours, qui voit dans l'orgasme la clef de voûte d'un monde meilleur, et propose " une jouissance pleine, vraie, intime et collective, dans l'élan d'un appétit de vie sans cesse à réinventer " attire la sympathie car il se fonde sur la pulsion de vie et se fait on ne peut plus rare au cœur de l'univers formaté dans lequel nous évoluons, où les conservatismes politiques (de droite comme de gauche), religieux ou féministes (de la branche anti-sexe) ont patiemment construit leur doxa avec la pulsion de mort pour toile de fond.

Sans doute certains conseils prodigués seront-ils plus difficiles que d'autres à mettre en œuvre, comme lorsqu'elle aborde la question de la jalousie ou de l'acceptation de ses propres désirs. Sans doute aussi Julia Palombe fait-elle preuve d'angélisme quand elle affirme que " la plupart des penseurs anarchistes [...] ont affirmé haut et fort la défense de la liberté sexuelle " : il suffit de lire les textes de leur "pape", Pierre-Joseph Proudhon, pour découvrir que sa diabolisation de la sexualité, de l'homosexualité et des femmes n'avait rien à envier à celle défendue par les catholiques les plus intégristes de son époque. Mais on sait gré à l'artiste d'avoir déniché cette belle citation d'Erica Jong : " Si le sexe et la créativité sont souvent considérés par les dictateurs comme des activités subversives, c'est parce qu'ils font prendre conscience que vous possédez votre propre corps - et par là même votre propre voix. C'est la vision la plus révolutionnaire qui soit. "

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À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008

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