L’accélération du réchauffement climatique est-elle irréversible?

Publié le 29 octobre 2016 par Blanchemanche
#rechauffementclimatique
Par @NDutent / 29 octobre 2016 /

Hervé Le Treut Climatologue, professeur, membre du Giec et de l’Académie des sciences Stéphanie Thiébault Directrice de l’Institut écologie et environnement du CNRS Ronan Dantec Porte-parole climat de la coalition Cités et gouvernements locaux, sénateur écologiste et Maxime Combes économiste et membre d’Attac.
Une occasion de se donner des images plus précises de notre futur par Hervé Le Treut Climatologue, professeur, membre du Giec et de l’Académie des sciences
Depuis quinze ou vingt ans, la perception des risques climatiques est entrée dans une phase nouvelle parce que des changements observés sont venus confirmer les prévisions effectuées par les modèles climatiques depuis les années 1970. Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ont choisi des qualificatifs toujours plus forts pour exprimer que désormais les premiers symptômes d’un changement climatique réel sont là, et qu’ils dépassent progressivement l’amplitude des fluctuations naturelles du climat. Mais, bien sûr, s’il renforce la prise de conscience générale sur ces problèmes, ce diagnostic signifie aussi qu’une partie du mal est déjà faite. Il vient tard, et il est accompagné d’un raccourcissement des échéances et des marges de manœuvre d’autant plus rapide que les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter : pour le CO2 résultant des combustibles fossiles, environ 10 milliards de tonnes de carbone sont désormais émises chaque année, contre à peine plus d’un milliard au début des années 1950. Or le CO2 et la plupart des autres gaz à effet de serre importants restent très longtemps dans l’atmosphère. Au rythme où nous avançons, il suffira d’un peu plus de vingt ans pour que leur cumul rende presque impossible une stabilisation du climat sous les 2 °C de réchauffement.
Nous sommes donc désormais face à une situation d’urgence, qui impose de passer au plus vite d’un diagnostic d’alerte à une politique de recherche de solutions. Les modèles climatiques dont le dernier rapport du Giec rapporte les résultats montrent que, pour ne pas dépasser le niveau de 2 °C de réchauffement, il faudra mettre en place des diminutions d’émissions drastiques, de 40 % à 70 % d’ici à 2050, puis parvenir avant la fin du siècle à une « neutralité carbone », ce qui veut dire reprendre presque entièrement à l’atmosphère les gaz à effet de serre que nous y émettons, voire en reprendre un peu plus, ce que l’on appelle des émissions négatives.
Il s’agit là d’objectifs d’une ampleur énorme, qui offriront des opportunités nouvelles pour l’économie mondiale, pour des filières énergétiques nouvelles, mais qui nécessitent aussi une reconversion totale et en quelques décennies des filières « carbonées » qui produisent 80 % des besoins énergétiques mondiaux. L’accord de Paris, sa ratification par les économies majeures de la planète, rend peut-être crédible et donc possible une telle transition. Mais elle restera incertaine pendant longtemps, et il sera important de ne pas baisser les bras, car il y a toujours pire à éviter. Les conséquences d’un réchauffement climatique, déjà sensibles à 1 degré, seront de plus en plus importantes si l’on atteint 2, puis 3 ou 5 degrés.
Rien, par ailleurs, n’est envisageable sans l’implication et l’adhésion de la société civile tout entière. En effet, les décisions à arbitrer devront suivre un chemin étroit entre contraintes climatiques, politiques, ou liées à des facteurs environnementaux comme le maintien de la biodiversité. Le rôle de l’opinion publique et de la communauté scientifique sera également très important en 2018, puis tous les cinq ans, au moment de renégocier les contributions des États, comme l’a prévu l’accord de Paris. Dans un autre domaine, la définition des politiques d’adaptation à la part inévitable des changements locaux ou régionaux peut aussi renforcer l’interface entre décideurs, scientifiques de toutes disciplines et citoyens. C’est aussi l’occasion de se donner des images plus précises de ce que peut être notre futur et donc de participer à une démarche urgente et indispensable : créer une forme de pédagogie collective autour de ces problèmes climatiques, faite de débats, et d’adhésion à des objectifs difficiles à appréhender de manière simple.
L’activité humaine est responsable du changement global par Stéphanie Thiébault Directrice de l’Institut écologie et environnement du CNRS
Ce qui est aujourd’hui incontestable, c’est que l’empreinte humaine sur l’environnement se manifeste à une échelle planétaire. C’est pourquoi, plutôt que de réchauffement climatique, nous préférons le terme de changement global. Les conséquences en sont le changement climatique et plus particulièrement son réchauffement, mais aussi la pollution, l’artificialisation des terres, les atteintes à la biodiversité… Il concerne toutes les parties du globe mais interagit avec l’échelle locale. Il s’agit de comprendre comment les écosystèmes naturels et construits par l’homme sont perturbés, comment il est, ou non, possible d’atténuer ces changements et comment on peut s’y adapter.
Le changement global n’est pas nouveau et nos sociétés et écosystèmes ont une longue histoire marquée par l’interaction société-milieu. La connaissance des environnements passés peut fournir une référence, une première étude des comportements vis-à-vis de ces impacts. Les sociétés anciennes ont connu des épisodes où le climat interagissait avec le contexte culturo-politique. Certains événements se sont produits à une échelle telle qu’ils ne peuvent être attribués qu’au seul forçage climatique. D’autres sont le fruit de l’interaction homme-climat. Est-ce que les sociétés hiérarchisées se sont mieux adaptées au changement global que les sociétés décentralisées ? D’autres périodes ont été chaudes : les écosystèmes ont-ils répondu aux changements du passé ? Pour répondre aux questions posées par nos concitoyens « quel sera le devenir des systèmes naturels sous l’emprise des changements globaux ? », le chercheur fait face aux défis suivants : intégrer toute la complexité du vivant en un temps restreint. Notre connaissance de cette complexité est encore très limitée.
Sur le plan international, les scénarios d’adaptation au changement climatique sont multiples et débattus. Ils traduisent certaines tendances lourdes dans les visions du futur et orientent l’action politique. Si certaines tendances semblent jugées incontournables, telles que la maîtrise de la demande et la diversification du mix énergétique vers les énergies renouvelables, d’autres sont mises en débat du fait de leurs risques, de leurs impacts sociétaux ou environnementaux (nucléaire, gaz de schiste, sables bitumineux, énergies marines et éolien offshore, géo-ingénierie…), du déplacement de la relation homme-système terre qu’elles supposent (capture et stockage géologique du gaz carbonique, géo-ingénierie…) ou encore de leur potentialité à redisposer la géopolitique de l’énergie (plan solaire méditerranéen, nucléaire, planifications stratégiques de l’espace marin…). Ces scénarios et vision du futur ont une dimension cognitive (« ce que l’on sait ») et normative (« ce qui devrait être »). Ils jouent un rôle significatif dans la quantification des objectifs et la négociation d’engagements au niveau international, qui sont eux-mêmes traduits en règles adoptées au niveau national puis déclinées en politiques et en planifications qui donnent à ce qui est de plus en plus souvent appelé « transition énergétique » ses dimensions spatiale, territoriale et sociale. Elle s’accompagne d’une mise en politique marquée par la prolifération de nouveaux acteurs, non étatiques et non scientifiques, et l’émergence de coalitions de pouvoir, de contestations et/ou de controverses recomposant les différentes échelles d’une gouvernance à la fois globale et locale. L’enjeu qui est au cœur de ces tensions porte notamment sur l’articulation entre changement climatique, transition énergétique et développement soutenable du point de vue de l’éthique et sur le long terme.
En définitive, si la planète a déjà connu des périodes plus chaudes, ce réchauffement n’était pas imputable à l’homme. La grande nouveauté dans tout cela est que c’est l’action humaine qui est responsable du changement global. Si nous savons que la nature reprendra ses droits, sous une forme ou sous une autre, il n’est pas certain qu’Homo sapiens soit de la partie.
Une seule solution, l’action ! par Ronan Dantec Porte-parole climat de la coalition Cités et gouvernements locaux, sénateur écologiste
L’accélération du réchauffement climatique est aujourd’hui bien plus rapide que ce que ne laissaient présager les premiers rapports du Giec. Face à ce désastre annoncé, nous devons éviter deux écueils : l’autocensure et le climato-fatalisme. Dans une société déjà inquiète, nous craignons d’effrayer encore plus. Nous devons pourtant le marteler : nos sociétés ne survivront pas à un changement aussi rapide, notamment du fait des crises alimentaires mondiales et des déplacements massifs de population qu’elles entraîneront. La « peur de faire peur » peut aujourd’hui nous tétaniser. Or, il apparaît clairement que le climato-scepticisme ou le sentiment que la science et la résilience des sociétés suffiront à nous sauver restent forts. Il faut donc rappeler que, sans une action résolue à toutes les échelles, nous obérons tout avenir pour nos propres enfants. Nous devons réussir à démontrer cette extrême gravité des conséquences à court terme, même si nous avons par exemple échoué à faire le lien entre sécheresses à répétition en Syrie et un exode rural massif qui a participé à la déstabilisation du pays.
Le climato-fatalisme est également redoutable : c’est le sentiment que nous n’y pouvons rien. Cette vision amène au repli des sociétés, l’anticipation d’un monde où il faut déjà se préparer à se protéger de l’autre, des « hordes » de migrants qui ne manqueront pas de déferler. Dans des sociétés frappées par le chômage de masse, ce sentiment peut nourrir des tentations politiques extrêmes, soutenir les offres d’un entre-soi entouré de champs de barbelés. Nous devons donc tout autant le combattre, en démontrant que des voies existent pour vaincre le dérèglement climatique.
Car, n’en déplaise aux climato-pessimistes, qui ne voient dans chaque action menée que ses insuffisances, il y a des raisons d’y croire. La mobilisation des territoires est réelle, avec 1/6 de l’humanité vivant dans des villes ou des régions inscrivant leur stratégie de développement dans une maîtrise de leurs émissions de CO2 compatible avec les exigences du Giec. Autre élément majeur, la rapidité du développement des énergies renouvelables (notamment photovoltaïque) a profondément changé le paradigme énergétique mondial, avec la perspective de maîtrise des émissions carbonées, mais aussi de nouveaux outils pour assurer l’accès à l’énergie pour tous et permettre un développement auquel chacun a droit.
Sans nier les difficultés dans certains secteurs, les oppositions de la part de certains pays ou acteurs économiques, notre enjeu des toutes prochaines années est d’abord de crédibiliser ce scénario de stabilisation du climat en précisant, secteur par secteur et pays par pays, les efforts à réaliser, et en les répartissant entre anciens pays développés, émergents et pays moins avancés. Il s’agit d’accélérer, partout dans le monde, les actions engagées, à la fois pour bénéficier de retours d’expériences nourrissant les stratégies de généralisation, et comme vitrine d’un monde qui se mobilise.
Dans ce cadre, les conclusions du premier Climate Chance à Nantes ont été claires dans la priorité donnée à l’accès des acteurs non étatiques aux financements disponibles : fonds climat ou autres. C’est probablement par notre capacité à mobiliser rapidement des fonds à la hauteur de l’enjeu – sommes considérables dans l’absolu mais faibles, comparées aux pertes qu’engendrera le dérèglement climatique – que se gagnera ou se perdra cette bataille vitale.
À Nantes, pendant trois jours, 3 000 acteurs de 60 nationalités ont dit leur désir d’action, souligné les nombreux co-bénéfices attendus en termes d’emploi ou de qualité de vie, ont formulé des propositions pour accélérer l’action. Cette « communauté du climat » rassemblant des acteurs aux origines et sensibilités différentes se construit sous nos yeux, et nous parle d’un monde que les moins de 20 ans pourront avoir plaisir à connaître.
Sortir de l’âge des fossiles, un impératif climatique par Maxime Combes Economiste et membre d’Attac
« Pour résoudre la crise climatique (…), les bons sentiments, les déclarations d’intention ne suffiront pas, nous sommes au bord d’un point de rupture » et nous avons besoin d’une « révolution climatique », avait déclaré François Hollande en ouverture de la COP21. Si les déclarations d’intention se ramassent à la pelle, comme les records mensuels de température mondiale, il n’y a toujours pas de révolution climatique à l’horizon. Il est bien entendu possible, comme le font certaines ONG, d’insister sur quelques signaux faibles favorables (baisse du coût des énergies renouvelables, etc.). Cette visée performative – que Laurence Tubiana avait évoquée sous les termes de « prophétie autoréalisatrice » et qui vise à positiver pour encourager la transition – a néanmoins pour corollaire de passer sous silence d’autres signaux faibles qui donnent une indication contraire : réouverture de mines de charbon en Australie, persistance de l’industrie du schiste américain, investissements dans un nombre grandissant d’infrastructures climato-incompatibles, pas de baisse significative des émissions mondiales malgré une croissance en berne.
Les deux approches se défendent statistiques à l’appui. Mais ni l’optimisme volontariste ni le pessimisme raisonnable ne nous permettent de saisir pleinement la nature du défi auquel nous faisons face. À l’occasion de la COP21, les États ont enregistré auprès de l’ONU leurs propositions de politiques climatiques pour les années post-2020. L’ONU a fait le calcul : un record d’émissions mondiales à la hausse pourrait être battu chaque année pour atteindre 56,2 gigatonnes d’équivalent CO2 relâchées dans l’atmosphère en 2030. Autrement dit, ce sont près des trois quarts de la totalité du budget carbone dont nous disposons d’ici à 2050 qui pourraient partir en fumée avant 2030.
Avec de tels engagements, le réchauffement climatique mondial devrait être largement supérieur à 3 °C, en contradiction flagrante avec l’article 2 de l’accord de Paris, qui prévoit que les États agissent pour contenir le réchauffement en deçà de 2 °C, ou même, idéalement, en deçà de 1,5 °C. Disons-le autrement : avant même que l’accord de Paris n’entre en vigueur, les États violent les (maigres) engagements qu’il contient. Le décalage entre ce qui devrait être fait et ce que les États s’engagent à faire est immense.
Face à ce constat indiscutable, il y a des économistes – et des institutions internationales – pour affirmer qu’il suffirait d’introduire un prix mondial du carbone pour résoudre la crise climatique. En réduisant le caractère systémique de la crise climatique à une simple affaire de prix de marché, ces économistes contribuent malheureusement à rendre invisibles les soubassements matériels et énergétiques de nos économies insoutenables.
Si introduire des formes de fiscalité écologique ne doit pas être écarté, le passionnant et documenté nouveau rapport de Oil Change International, « The Sky’s Limit », nous envoie un « signal fort », un avertissement brutal même, qui ne peut être ignoré : les puits de pétrole et de gaz ainsi que les mines de charbon actuellement exploités suffisent pour générer un réchauffement climatique supérieur à 2 °C. Pour Stephen Kretzmann, le directeur de l’ONG, le constat clinique est sans appel : « Si le monde veut vraiment tenir les objectifs fixés à Paris, les gouvernements doivent mettre un terme à l’expansion de l’industrie des énergies fossiles. » Dit autrement : chaque euro supplémentaire investi dans le secteur des énergies fossiles est une atteinte manifeste à l’article 2 de l’accord de Paris.
Les recommandations coulent de source : il est urgent de planifier et organiser un désinvestissement massif dans le secteur des énergies fossiles, d’engager une transition énergétique pourvoyeuse d’emplois nombreux et de qualité, de rénover les règles qui organisent le commerce et l’investissement mondiaux pour qu’elles tiennent compte de l’impératif climatique, et enfin de débloquer un soutien financier pour assurer un développement décarboné dans les régions pauvres du monde. La révolution climatique est à ce prix. Un prix qui n’est pas de marché, mais le fruit d’un engagement ferme et résolu qui ne se limite pas à des discours.
https://nicolasdutent.wordpress.com/2016/10/29/lacceleration-du-rechauffement-climatique-est-elle-irreversible/