Je viens de lire le livre "Libérez votre cerveau". Pour être honnête, je me suis arrêté aux trois quarts. Trop décousu. Au début c'était amusant les considérations existentielles mêlant René Guenon (!), Pierre Rabhi et Steve Jobs. Mais ça a fini par me gonfler un peu les invitations à "vivre sa vie", à "faire ce que l'on aime".
C'est même pas de la jalousie ou de la frustration car j'ai justement cette chance de faire ce que j'aime. Mais j'achetais le livre pour me renseigner sur les neurosciences, pas pour un tel épanchement de conseils sympathiques mais un peu tartignoles. Je suis sans doute sévère, car c'est à la fois profond et niais.
Au fond ce qui me dérange, c'est le recours glissé du propos magique "Quand on veut, on peut". Aux oubliettes la reproduction sociale et les mécanismes sociologiques.
Libérez votre cerveau
On y retrouve les punchlines dans les deux vidéos (mentionnées ici et là) qui font la saveur de ce vulgarisateur à propos du biomimétisme, de l'économie de la connaissance et des neurosciences. Mais on part sur des expériences de mentalisme (saturer la mémoire géographique de votre interlocuteur pour essayer de le payer avec des billets blancs). Et des astuces vieilles comme le monde pour développer sa mémoire (méthode des loci par exemple). Et des considérations sur la pédagogie défaillante, la faible considération pour les touche-à-tout et les vulgarisateurs... etc.
De mon point de vue un sacré foutoir. Et je repense aux propos dans les vidéos. Finalement, c'était assez banal aussi. Par exemple le fait qu'on apprend mieux en jouant. Que la Nature est quand même impressionnante etc.
Et voilà qu'un ami me dévoile des bizarreries :
Idrisse Aberkane
- se présente comme professeur à Polytechnique, ce qu'a démenti officiellement l'institution. En fait il a été doctorant à Paris-Saclay, dans un laboratoire basé sur le campus de Polytechnique.- se présente comme affilié au CNRS, ce que dément une recherche dans l'annuaire du CNRS qui pourtant comprend même les personnels des universités qui font leur recherche dans un labo où le CNRS a des billes.
- se présente comme enseignant-chercheur à Centrale Supélec alors que cette institution aussi l'a démenti officiellement. Il est en fait enseignant au MS Stratégie et développement d’affaires internationales de EM Lyon, co-accrédité par Centrale-Supelec https://t.co/ArJEXdPDBd
- se présente comme chercheur affilié à Stanford alors qu'il est "affiliate scholar" du Kozmetsky Global Collaboratory, qui est lui même une organisation philanthropique affiliée à Stanford. Au final il n'est pas dans l'annuaire de Stanford https://t.co/G5A2UvK9GF
- se présente comme "interne à l'université de Cambridge", c'est à dire qu'il a été stagiaire ("intern" en anglais) là bas un été.
- se présente comme émissaire de l'UNESCO. Pas de réaction officielle de l'institution, mais son site ne mentionne jamais son nom.
- se présente comme Normalien, ce qui veut dire avoir réussi le concours d'entrée à l'école Normale Supérieure (concours d'entrée dans la fonction publique) et y avoir suivi ses études comme fonctionnaire stagiaire. Il y a bien suivi des études, mais en tant qu'auditeur admis sur dossier. Je connais des auditeurs des ENS très biens, c'est le plus petit abus de langage de la liste.
- dit avoir fait le "Cogmaster", le Master Recherche en Sciences Cognitives co-habilité entre autre par l'ENS de la rue d'Ulm. Il n'est pas recensé dans la liste des anciens élèves. http://sapience.dec.ens.fr/cogmaster/www/f_01_archives.php
- se présente comme comme ayant 3 "PhD" dans des domaines très différents soutenus à un an d'intervalle. En anglais PhD veut dire doctorat et correspond à une thèse d'au moins 3 ans, mais le terme n'est pas légalement protégé en France. Le premier "PhD" a été obtenu auprès d'une institution https://t.co/GgX5MI3otr non agrémentée par l'état. Elle demande des droits d'inscription très élevés (8 650 € par an pour s’inscrire puis 600€ de « droit de soutenance »). Je n'ai pas dit que ce diplôme bidon a été "acheté", mais bon, on sait tous ce que valent les écoles qui ont des pubs dans le métro.
- le second doctorat soutenu le 16-06-2014 en littérature comparée avec comme président du jury un prof d'informatique : http://theses.fr/2014STRAC005 En tant que physicien j'ai du mal à juger de la pertinence de la thèse, mais l'informaticien a dû avoir du mal aussi. Pourtant il a dû apprécier puisque lui comme plusieurs autres membres de ce jury se sont retrouvé dans le jury de son 3ème doctorat.
- Il n'a qu'une seule publication recensée et il s'agit d'un résumé pour une conférence quand il avait 21 ans et qui n'a pas donné lieu à un article ensuite.
Aurait-on à faire à un escroc ?
La réponse n'est pas évidente. Ce qui est sûr, c'est qu'il a tendance à storyteller son parcours, ce qui est assez bizarre quand on le lit et l'écoute à propos de la vacuité des titres universitaires...
Voilà donc réactivée la vieille guerre entre chercheurs et universitaires du sérail versus trublions vulgarisateurs à succès. Voyez Lorànt Deutsch et les frères Bogdanov. Polémiques stériles puisque sur gonflées par les medias. Mais qui a au moins le mérite de nous rappeler que la science est une chose humaine... tellement humaine.
J'ai aussi pu parcourir quelques critiques argumentées , sur medium et sur textup (Merci Etienne de me les avoir indiquées). Si vous avez un peu de temps, lisez-les pour vous faire votre propre avis. Ils mettent des mots sur ce que j'ai ressenti la première fois : quel est le sens de tout cela ?
La croissance verte ?
Dans le précédent billet j'avouais justement mes plaisirs à déguster du savoir grâce à des vulgarisateurs de talent. Je reste fan des vidéos de MicMaths (d'ailleurs cité comme ami dans le livre) et de DirtyBiology qui peut être me convainquent plus car ne proposent pas de miroirs aux alouettes. Peut-être que vulgarisation et futurologie ne font pas bon ménage. Car dans toute futurologie, il y a (inconsciemment) beaucoup d'idéologie.
J'espère que l'intéressé lira ces critiques et aura la sagesse d'y répondre.
L'arbre à vent
C'est joli et ca fait plaisir à la section Communication d'une poignée de pollueurs... mais c'est franchement pas pratique. J'avais regardé rapido les chiffres (rendement, puissance etc...) et m'étais empressé de ranger cela dans mon placard à archives , dossier que j'ai nommé sur mon ordinateur "CaCraint".
Il y a eu un article du Figaro qui avait détaillé le calcul. Je les remets si besoin :
Un Arbre à Vent coûte 30 000 €, produirait 8MWh/an (au max) et rapporterait alors 1 000 €/an. Bref, amorti au bout de 30 ans si pas de frais de maintenance...
Et c'est pas eco-conçu.
Pour comparer, une éolienne est actuellement en financement citoyen du côté de Redon, à Avessac. Elle produit 4400 MWh/an soit 500 fois plus d'électricité à coût équivalent. C'est sur Energie Partagée. C'est ce que l'on appelle la révolution éolienne silencieuse...
Que l'on m'explique ! Oui je devine les raisons. Un Arbre à Vent c'est Nouveau et c'est Mignon.
Après s'être fait étrillé par les experts rationnels et les revues sérieuses (car oui la transition énergétique c'est hélas sérieux car vital...), voilà qu'une pleine page du Canard Enchaîné plombe notre Arbre à Vent sur des histoires de sécurité. Las, la start-up a fourni un communiqué de presse avec droit de réponse et a assuré porter plainte pour diffamation. Ambiance...
Peu me chaut de savoir si ces les petites feuilles de l'Arbre à Vent sont sécurisées, je conçois qu'une start-up puisse humblement améliorer son prototype et j'ai toute mon admiration pour l'attitude entrepreneuriale. Dommage d'avoir entre-pris cette voie...
Au passage, l'aveu énergétique figure d'ailleurs dans le communiqué :
100W par aeroleaf multipliée par le nombre de feuilles, c'est une très belle performance qui ne peut naturellement se comparer à celle d'éolienne de 100 m de haut.
Le problème étant que l'on est tenté de comparer...
Conclusion
Y a-t-il un lien entre la mésaventure Arbre à vent et la mésaventure Idriss Aberkane.
C'est beau sur le papier, c'est pétri de bons sentiments... mais j'ai comme l'impression qu'on nous a un peu pris pour des gogos !