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Par Thibault Malfoy
Ou comment Orson Welles abandonna très tôt une carrière de prof de creative writting pour le cinéma.

Citizen Kane devrait être projeté dans tous les cours de creative writting : c’est un modèle de finesse d’écriture.

Le film s’ouvre et se ferme sur une pancarte affichant un « No Trespassing » symbolique de notre incapacité à percer l’intimité d’un être, ici Charles Foster Kane. Ce personnage est le résultat archétypal d’une écriture cinématographique qui tout à la fois promet et dérobe au spectateur une promesse d’explication. Durant la longue séquence d’ouverture, la caméra s’approche peu à peu dans la nuit - par une succession de fondus enchaînés - de la fenêtre de la chambre de Kane, phare qui s’éteint brusquement quand on l’approche de trop près, avertissement au spectateur trop avide d’explications : ici, elles seront peu nombreuses, ou laissées à la discrétion du public.

Le film tout entier s’articule autour de la figure centrale de Kane et se construit comme un reportage, ou plutôt comme l’enquête d’un reporter, sur Kane après qu’il soit mort. La reconstitution du puzzle qu’il est (dans le film, la métaphore est explicite) se fait par alternance et multiplication des points de vue, diffraction du génie d’Orson Welles, qui ainsi disparaît derrière chacun de ses personnages et n’apparaît nulle part, même dans le rôle titre qu’il interprète. De même, le reporter s’efface devant le sujet de son reportage : il est toujours dans l’ombre ou en contre-jour, jamais de face. N’est-ce pas la métaphore du retrait de l’artiste de son œuvre, ne devant laisser dans l’idéal qu’à peine une empreinte sur son passage ?

Reste la pièce manquante du puzzle : le rosebud. Cette énigme persistera pour le reporter ; au spectateur, le mystère sera dévoilé à la toute fin du film. Point nodal où se contracte toute la personnalité de Kane en un poing serré, qui ne s’ouvre pas pour tout le monde.

D’une personne de notre réalité tangible, d’un personnage de cette autre réalité, imaginaire, que produit l’art, on ne sait jamais que ce qu’il ou elle veut bien laisser affleurer en surface. En fait, on ne sait rien. Dans un roman, c’est pareil : ne jamais expliquer, suggérer. Au lecteur de comprendre.

Pour les vacances d'été, rédiger une étude comparée de Citizen Kane et d’Un film d’amour de Charles Dantzig. Remise des copies à la rentrée.