« Défense de ne pas toucher »
Dans les années soixante en France le G.R.A.V., Groupe de recherche d’arts visuels, édictait comme principes : « Défense de ne pas toucher » et « Défense de ne pas participer ». Pour Roger Vilder qui expose actuellement à la galerie NMarino à Paris, ces injonctions retrouvent aujourd’hui toute leur valeur. Pour cet artiste qui a partagé sa vie entre le Canada et la France, les travaux sur l’art construit conjointement à ceux sur le mouvement le rapprochent de cette histoire écrite par les tenants de l’art cinétique. Car c’est un itinéraire d’une cinquantaine d’années qui aboutit aujourd’hui avec cette proposition d’ « Algorithme tactile ». Les premières recherches numériques de Roger Vilder remontent à 1971. En 1973 il réalise des dessins par ordinateur au centre météorologique du Canada.
Algorithme Roger Vilder
Désormais pour Roger Vilder cette volonté d’associer la création dans le domaine des arts plastiques avec la technologie informatique se concrétise avec ces dessins en noir et blanc ou en couleur animés par des algorithmes, les tableaux devenant en permanence modifiés par des mouvements aléatoires ou répétitifs. Le plan du tableau est alors asservi par l’ordinateur au bénéfice d’une œuvre en changement permanent.
« Algorithme tactile »
Le « Défense de ne pas toucher » des artistes du G.R.A.V. trouvent ici une nouvelle application avec l’utilisation par Roger Vilder d’écrans tactiles qui perturbent singulièrement le statut à la fois de l’œuvre et celui de l’artiste. Désormais, le collectionneur prend sa part de création pour chaque œuvre initiée par l’artiste. Le spectateur du tableau a pouvoir de décision en intervenant sur le plan tactilev: il peut alors déplacer l’image, agrandir une forme, la réduire, modifier le rapport géométrique des formes et des couleurs.
Dans ces conditions, ce n’est pas seulement la nature de l’œuvre qui change en se voyant attribuer un acteur supplémentaire dans l’acte de création, c’est le statut même de l’artiste qui s’en trouve bouleversé. En mettant à la disposition du spectateur ce pouvoir de décision, Roger Vilder met en situation un tandem inédit qui, d’une certaine façon, désacralise le rôle du créateur, la prééminence incontestée de l’artiste. Imaginerait-on un tableau de Mondrian modifié au gré des humeurs du collectionneur ? Qu’en aurait pensé Mondrian lui-même ? Comment se définit alors la notion d’auteur ? Avec cette proposition d' »Algorithme tactile », Roger Vilder remet sur l’ouvrage la question du rapport à l’art que les artistes du G.R.A.V. posaient il y a un demi-siècle. Parmi ses membres, Julio Le Parc déclarait dès 1961 : «L’art d’ailleurs ne nous intéresse pas en tant que tel. Il est pour nous un moyen de procurer des sensations visuelles, un matériel mettant en valeur vos dons. Tout le monde est doué, tout le monde peut devenir partenaire. Et ce sera parfait si l’œuvre vous fait oublier le tableau, ‘l’œuvre d’art’».
« Défense de ne pas participer »
Roger Vilder, avec ses « Algorithmes tactiles » installe ainsi cette relation nouvelle dans la création artistique. La mutation de l’œuvre d’art ne tient pas d’abord, me semble-t-il, à l’avancée technologique mais bien davantage à ce statut nouveau : le tableau au mur n’est pas un objet fini, définitif, il devient un élément interactif, modifiable, soumis à la volonté de son propriétaire, lui même détenteur de cette part de créativité. Le rêve des artistes du G.R.A.V. de voir naître une nouvelle relation entre l’artiste et le spectateur prend forme aujourd’hui avec cet art du partage.Photos: Galerie NMarino
Roger Vilder
« Algorithmes tactiles »
8 Octobre – 26 Novembre 2016
Galerie NMarino
8 rue des Coutures Saint-Gervais
75003 Paris