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De par la résolution 955, le Conseil de sécurité des Nations Unies lui avait donné pour mission de juger des personnes responsables d'actes de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ou par des citoyens rwandais sur le territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.
Basé à Arusha en Tanzanie, pays paisible et limitrophe du Rwanda, cet appareil judiciaire valait la peine, pour éviter que les plus graves crimes restent impunis. "La création du TPIR a constitué une évolution extraordinaire dans la réponse internationale aux violations graves et généralisées des droits humains", a déclaré Géraldine Mattioli-Zeltner, directrice du plaidoyer pour le programme Justice Internationale à Human Rights Watch. "Cela a envoyé le message que les crimes graves, quelle que soit la personne qui les commet et quel que soit le lieu où ils sont commis, devraient faire l’objet de poursuites et de procès."
Dans une résolution (1503) 2003 du 28 août 2003, le Conseil de sécurité a demandé au TPIR de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour que tous les procès en première instance soient terminés avant fin 2008 et que la totalité de ses travaux soient terminées en 2010. A l’épreuve des faits et du droit, peut-on affirmer que cette institution a atteint son objectif? Autrement dit, le TPIR est-il parvenu à juger les personnes responsables du génocide rwandais et à créer des conditions de réconciliation nationale et de paix durable dans ce pays? Plus prosaïquement, le droit international en est-il sorti plus renforcé?
Le TPIR a jugé et condamné plusieurs personnalités éminentes, quelques-unes ont plaidé coupable et ont demandé pardon au peuple rwandais. Plusieurs autres ont plaidé non coupable et ont fait face à leur procès. Il s'agit notamment de l’ancien Premier ministre Jean Kambanda, l’ancien chef d’état-major de l’armée, le Général Augustin Bizimungu, et l’ancien directeur de cabinet du ministère de la Défense, le Colonel Théoneste Bagosora.
Le TPIR a inculpé 93 personnes, en a condamné 61 et en a acquitté 14, contribuant d’une manière sans précédent à établir la vérité sur l’organisation du génocide au Rwanda et à rendre la justice aux victimes. Toutefois, le tribunal a souffert de limitations fondamentales et a suscité des critiques, en particulier de la part de Rwandais. Lors de la cérémonie de clôture des travaux du tribunal en décembre 2015, le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye, a réitéré les critiques du gouvernement concernant le manque de réparations pour les victimes, et regretté que le tribunal soit en dehors du Rwanda. Il s’est également plaint que des personnes condamnées pour génocide soient autorisées à parler aux médias. D’autres ont critiqué le nombre relativement réduit d’affaires traitées par le tribunal et son coût opérationnel élevé, ainsi que ses processus bureaucratiques et la durée des procès.
Dans son livre, "La traque, les criminels de guerre et moi", paru aux Éditions Héloïse d'Ormesson en 2009, l’ancienne procureure du TPIR (1999-2002), Carla Del Ponte explique qu’elle avait envisagé d’enquêter et poursuivre les présumés responsables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité du camp du FPR (Front patriotique rwandais), qui était en guerre contre le régime de Habyarimana, et qui a pris le pouvoir en 1994. Cependant, selon Carla Del Ponte le président Kagame s’y était farouchement opposé en bénéficiant de l’appui des États-Unis. Et par conséquent, son mandat ne sera pas renouvelé.
Jusqu’à la fermeture des portes du tribunal, aucun membre de l’ancienne rébellion du FPR n’aura été poursuivi, ce qui conduit certains observateurs à le qualifier de "tribunal des vaincus". En effet, les enquêteurs du TPIR ont affirmé que des preuves avaient été collectées sur 13 épisodes pendant lesquels en 1994, des membres du FPR auraient massacré des civils au moment de l’avancée des troupes à travers le Rwanda. Carla Del Ponte précise qu’elle en avait parlé à Paul Kagame qui n’avait ni approuvé ni nié que ces incidents aient eu lieu.
Par ailleurs, l'attentat contre l'avion présidentiel, le 6 avril 1994, qui a coûté la vie aux deux chefs d’États, Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, tous ceux qui les accompagnaient ainsi que l'équipage français, est considéré par l'ONU, comme l'élément déclencheur du génocide. D'aucuns se demandent alors pourquoi ce crime n'a pas été poursuivi par le TPIR qui en avait la compétence.
S’il est vrai que certaines personnes considérées par le procureur du TPIR comme étant les architectes du génocide n’ont toujours pas fait face à la justice, il ne serait pas juste de dire que l’action du procureur aura été sans intérêt. Que ce soit au niveau des enquêtes qui ont conduit à la mise en accusation des suspects et à leur arrestation, ou de la conduite des procès qui ont conduit à leur culpabilité ou leur innocence, les services du procureur auront contribué à la recherche de la vérité. Les avocats de la défense n’auront d’ailleurs pas été en reste dans cette quête de vérité. De nombreux témoignages ont été récoltés, de nombreux témoins à charge et à décharge ont déposé devant les juges du Tribunal. Ce faisant, le film du génocide rwandais a été tracé permettant ainsi à la communauté internationale, de s’interroger et au besoin, de tirer toutes les conséquences liées à ce drame.
Le bilan du Tribunal a été jugé mitigé au regard des dépenses engagées par rapport à son rendement. Les dépenses du TPIR sont imputées sur le budget ordinaire des Nations-unies, conformément à l’art 17 de la Charte des Nations Unies. Pour l’année 2000, l’Assemblée Générale a alloué un budget de 79 753 900 dollars pour le TPIR. La France en est l’un des premiers contributeurs. Elle a versé en 2000 une contribution de 5,5 millions de dollars. Pour l’exercice biennal 2010-2011, l’ONU a adopté un budget de 257 081 500 de dollars pour ce Tribunal, et presque le même montant chaque année, jusqu'en 2015.
Ces importantes dotations budgétaires ont fait l’objet de critiques de la part de certains observateurs et acteurs de l’activité judiciaire internationale en général et celle du TPIR en particulier. Si la question mérite d’être posée, force est néanmoins de constater que les lenteurs de son action ne doivent pas occulter son mérite, malgré les défaillances ci-haut évoquées. Il a rendu justice au peuple rwandais, même s'il l'a fait à moitié, et plus prosaïquement, il a contribué à l’avancée du droit.
Le TPIR a clos ses travaux, après avoir mis en place un mécanisme permettant aux tribunaux pénaux de veiller à ce que cette fermeture ne laisse la porte ouverte à l'impunité pour les fugitifs restants. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a appelé tous les États à coopérer avec ce mécanisme et le gouvernement du Rwanda pour l'arrestation et la poursuite des fugitifs restants inculpés par le TPIR.