de Toni Morrison
Roman - 190 pages
Editions Christian Bourgeois - août 2015
Editions poche 10/18 - septembre 2016
Lula Ann Bridewell est la fille de deux métis, mulâtres au teint très clair. Mais elle, Lula Ann Bridewell, est très très noire de peau. Tellement que son père s'enfuit et sa mère la rejette, la lavant du bout des doigts, la punissant tout en évitant tout contact physique. La jeune fille en souffre beaucoup. 20 ans plus tard, elle est devenue Bride, une beauté incroyable, qui gagne sa vie très aisément dans une entreprise de cosmétiques. Elle ne revoit guère sa mère, et son amoureux Booker la quitte. Des jours mauvais s'annoncent, et se confirment lorsqu'elle se fait défigurer par celle qu'elle est allée retrouver à sa sortie de prison, celle qui a purgé sa peine pour avoir des actes de pédophilie à l'encontre de Lula Ann Bridewell.
Roman dévoré en une journée, Délivrances résonne de toutes les souffrances de l'enfance confrontée au racisme, résonne de toutes les maternités tragiques qui peuplent les romans de Toni Morrison. Et résonne de sa plume délicate, inquiétante et poétique. Avec sa légère touche de surnaturel, mais qui ne m'a pas rebutée alors que je le crains d'habitude. Juste cette Bride qui observe en elle des changements corporels inattendus (exit les poils pubiens, disparition de la poitrine, ses épaules rétrécissent et elle arrive à enfiler des tenues de fillette)... Du surnaturel comme métaphore d'un retour imposé en enfance, réveiller des sombres souvenirs, prendre ses parts de responsabilité, de mensonges, accepter le passé, et le dialogue. Accepter les délivrances.
Extrait :"Ils vont tout faire capoter, se dit-elle. Chacun va s’accrocher à une petite histoire triste de blessure et de chagrin : un problème et une douleur anciens que l’existence a lâchés sur leurs êtres purs et innocents. Et chacun va réécrire cette histoire à l’infini, tout en connaissant son intrigue, en devinant son thème, en inventant sa signification et en rejetant son origine. Quel gâchis. Elle savait d’expérience ô combien difficile, ô combien égoïste et destructible était le fait d’aimer. Refuser les rapports sexuels ou compter dessus, ignorer les enfants ou les dévorer, réorienter les sentiments véritables ou les laisser dehors. La jeunesse était l’excuse à cet amour naïf comme les messages glissés au cœur des biscuits chinois ; jusqu’à ce qu’elle ne soit plus, jusqu’à ce qu’il devienne pure sottise d’adultes."
Mais les délivrances peuvent être comme des pulsions, c'est-à-dire éphémères, et l'optimisme de l'auteure n'est qu'une façade à travers laquelle s'échappe le venin de la difficile histoire tragique sui souvent se répète à travers les âges.Une écriture belle, une voix singulière qui nous délivre un très bon roman, des portraits captivants de personnages - une fois n'est pas coutume - contemporains.
L'avis de Noukette - Dans la bibliothèque de Noukette
"Mensonges, silences et maîtrise du récit - La règle du jeu