Grâce aux éditions Demopolis, nous pouvons revisiter le texte de Mussolini, "Le Fascisme", pour comprendre l’histoire et aujourd’hui...
Nationalisme. Fascisme, fascistes, fachos. Des sombres «matins bruns» aux «retours aux années 1930» ressassés çà et là périodiquement, hurlons-nous trop aux loups? Ces mots ont-ils encore un sens exact, précis, référencé? En somme, qu’est-ce que le fascisme? Quelle en fut la doctrine politique? Dans quelles circonstances historiques émergea-t-il? Et surtout, quel rapprochement opérer avec aujourd’hui? Les livres de salubrité publique sont trop rares pour les passer sous silence. Les éditions Demopolis publient cette semaine, non sans courage, l’intégralité du tristement célèbre texte de Mussolini "le Fascisme" (104 pages, 12 euros), écrit en 1932 pour "la Nouvelle Encyclopédie italienne". Il constituait à l’époque le début de l’article «Fascisme», paru en France en 1933 chez Denoël, l’éditeur du "Voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline et d’auteurs comme Rebatet ou Brasillach. Pour la présente publication, Demopolis ne nous laisse pas sans repères. Outre un «avertissement aux lecteurs», dans lequel nous sommes invités à ne jamais oublier que «des crimes contre l’humanité ont été commis en application de cet ouvrage» et que «les manifestations actuelles de haine et de xénophobie participent de son esprit», deux spécialistes ont été requis pour commenter, en préface et en postface, ces lignes qui ont accouché du pire au XXe siècle: Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste, et Hélène Marchal, historienne et traductrice. «La publication de ce livre, écrivent-ils en préambule, doit permettre aux lectrices et lecteurs curieux, et parfois inquiets des évolutions du monde contemporain, de se forger leur propre opinion.» Voilà bien le défi. Et l’importance de savoir de quoi il s’agit précisément. Ainsi, le fascisme est une forme particulière de nationalisme, car «il n’y a pas de fascisme sans nationalisme mais il y a différentes formes de nationalisme qui ne sont pas du fascisme». De même, attention aux contresens: contrairement au libéralisme, le fascisme selon Benito Mussolini est une forme de nationalisme qui exalte le rôle central de l’Etat («l’État fasciste est une force, mais une force spirituelle qui résume toutes les formes de la vie morale et intellectuelle de l’homme», écrivait le dictateur), tout en affichant un programme social et en se prétendant «ni de droite ni de gauche», ce qui ne manque pas de nous rappeler beaucoup de débats en cours. Vous suivez notre regard?
Mordillat et Marchal expliquent très bien que le Front national de Jean-Marie Le Pen, héritier de Poujade, se voulait nationaliste, anti-étatiste et syndicalophobe. L’arrivée à la tête du FN de Marine Le Pen et de Florian Philippot change radicalement la donne et opère une véritable volte-face. La question de l’État devient donc l’enjeu d’une bataille idéologique. «Le FN, argumentent-ils, tente de réaliser l’union nationale de toutes les classes sociales en reprenant le vieux slogan fasciste: “Ni droite, ni gauche!” Dans le même temps, il s’emploie à mettre à distance l’antisémitisme et le racisme, les crânes rasés, la violence de rue et les saluts le bras tendu comme à l’époque de Mussolini. Le folklore disparaît, l’idéologie se radicalise.» Prémices. La boucle est bouclée: voici le retour du fascisme de Mussolini, une sorte de postfacisme ou de néofascisme. «Face à l’échec du libéralisme, le nationalisme offre une idéologie de rechange à la bourgeoisie en quête d’une traduction politique de ses craintes et de ses attentes», n’hésitent pas à préciser Mordillat et Marchal, après une longue démonstration passionnante des ressorts de la crise économique et de sa sociologie parmi les classes. Non sans oublier de nous mettre tous en garde. «En France, aujourd’hui, existent les prémices d’un fascisme gouvernant l’action de l’État et des services publics: la police, la gendarmerie, les services de renseignement, l’armée, la justice, les services sociaux…» Un fascisme déjà inscrit au cœur de l’État? En attendant bien pire? [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 octobre 2016.]