Menton, coincée entre la mer et la montagne, est la dernière ville avant l'Italie. Dans ses rues, sur ses murs, au dos des vielles rabougris, même dans les boutiques attrapes-touristes estampillées couleur locale - jaune citron ou vert olive - tout respire une appartenance méridionale qui brouille les frontières. Parce qu'entre ces villes de la côte d'Azur, serrées sur une étroite bande de terre vaguement constructible, on retrouve une culture commune avec l'Italie si proche.
Les murs ocres, oranges et bouton d'or. Les ruelles serpentant jusqu'en haut de la colline rocailleuse d’où surplombe le cimetière. Les églises richement décorées dont l'intérieur ressemble à un écrin, une boite à musique baroque où en guise de danseuse, trône une représentation de St Michel ou de la Vierge, peinte de ce bleu profond, sublime avec ses traits d'une finesse surnaturelle.
Menton, petite, discrète, par rapport à Nice, est une ville que j'ai toujours aimé sans retenue. Sans ambiguïté.
Déjà, parce qu'on y célèbre les agrumes. Depuis ma plus tendre enfance j'ai toujours voué un amour invétérés aux citrons. Je me souviens des chars piqués de fruits, de ma fascination naïve teintée de désespoir face à ce gâchis. Mes parents m'ont toujours assuré qu'il n'y avait pas de perte, que pas une seule orange serait perdue, et qu'elle finissaient toutes en confiture. Rétrospectivement, j'ai des doutes sur la véracité de leur affirmation. Menton, c'est la ville d'Yvette ; une des amies de ma maman. J'aimais rende visite à cette petite dame, rousse ridée comme une pomme, au corps fluet, débordant d'énergie et de gentillesse. Menton, c'est la dernière ville du territoire avant l'Italie. Enfant, la frontière était encore une réalité tangible avec douanier, garde barrière, carte d’identité. Une zone un peu mystérieux et magique, dans mon imaginaire, où quelque chose d'important pouvait subvenir. Je me souviens des voitures arrêtes sur le bas coté, au coffret ouvert.
Menton était comme la dernière ville connue. Après, on ne parlait plus ma langue. Tout pouvait basculer.
La dernière fois que j'étais à Menton, les circonstance pénibles ont teinté mes souvenirs d'un voile nostalgique qui ne m'appartient pas.
Maintenant apaisée, j'avais envie de revoir la ville, et de la partager avec mon amie Anne qui apprécie - beaucoup plus que moi - la côte d'Azur et ses charmes. Nous voilà donc partie, malgré le temps gris d'automne, en train, depuis Nice. Le voyage est court. L'arrivée rocambolesque : hors saison l'office du tourisme ferme entre midi-deux mais le personnel, en train d'éteindre les lumières et verrouiller les portes, a eu la gentillesse de nous donner une carte. Après un pan bagna dévoré au bord de la mer à la barbe - ou plutôt plume - des goélands, nous attaquons le cœur de notre programme : la visite du musée Jean Cocteau.
Ouvert en 2011, c'est un bijou d'architecture et de poésie. Outre les œuvres de Cocteau, il présente la collection d'un grand amateur d'art Séverin Wunderman. Au sous-sol, un documentaire réalisé par Cocteau lui même, raconte comment la villa Santo Sospir s'est retrouvée ornée de ses fresques oniriques. Avec magie, sensibilité et une bonne dose d'auto-dérision, l'artiste parle de son travail. Un seul regret, par une seule fois n'est mentionné explicitement son histoire d'amour avec Jean Marais, pourtant un aspect important de sa vie.
Dehors, les nuages s’amoncellent. Nous crapahutons dans les rues escarpées de la veille villes. Cactus, plantes grasses et diverses icônes ornent les façades colorées. La basilique St Michel nous accueille et ses pendouilleriez kitchs, ses dorures, sa piétés, ses croyances ostentatoires qui en deviennent folkloriques. Puis, sous une pluie hésitante, nous montons jusqu'au cimetière avec vu sur la baie. Les tombes délimitées par du fer forgé rongé de rouille, les gravures en cyrillique, les croix couchées sous la vieillesse, les cyprès vert sombre, un hommage au gris profond des cieux. Le soir tire vite la révérence et à 18h, nous nous réfugions dans une crêperie bretonne pour déguster la spécialité maison : la crème de citron ! Des vacances ne peuvent être qualifié de réussies si je n'ai pas manger au moins une fois des crêpes.
Par la fenêtre bleu nuit du train qui nous ramène à Nice, la courbe orange de la Prom illuminée. Le périple s’achève, des souvenirs joyeux recouvrent ceux nimbés d'un voile amer. Menton retrouve le goût acide et vitaminé de mes impressions d'enfant. Déjà, nous projetons un prochaine excursion. Un prochain séjour avec une visite à St-Jean Cap Ferrat et la visite de la villa peinte par Cocteau.
Copyright : Marianne Ciaudo