MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS, Tim Burton (2016)
Cette fois c’est la bonne, l’on ne m’y reprendra plus. Après l’hystérique et pompeux Alice au pays des merveilles, le soporifique et inanimé Dark Shadows et le mégalomaniaque Frankenweenie, je me laissais une fois de plus prendre au jeu (de plus en plus compassé) de Tim Burton, littéralement traînée au cinéma, bien que je me fusse roulée par terre (en hurlant) pour ne pas y aller. Car Tim Burton, depuis quelques années déjà, s’est enduit d’une bien mauvaise idée, celle de se rendre largement dispensable, constat amer si l’on prend le temps de se souvenir de l’œuvre inspirée de cet « homme-enfant » qui maniait l’onirisme et la magie comme personne. Sa poésie et son univers enchantés se sont tristement transformés en marque de fabrique, en produit estampillé Burton ; Burton qui aujourd’hui ne serait presque plus qu’un dérivé de lui-même ; Burton qui filigrane du Burton sans jamais se renouveler ou y mettre un tant soit peu de cœur. Sous le vernis éclatant de Miss Peregrine ne surnagent que du clinquant cinématographique, de la paresse et une certaine vacuité ; subsiste un homme qui n’a semble-t-il plus rien à prouver et fait sempiternellement fonctionner le même manège coloré et faussement inspiré d’où ne ressort aucune émotion, n’engendrant au passage qu’un seul sentiment : celui d’être catapulté-e dans une fête foraine lugubre au décor de carton-pâte qui ravit visiblement encore et toujours les critiques dont la subjectivité finit par agacer.
Tim Burton, armé d’une base concrète et « mâchée » – le roman fantastique de Ransom Riggs –, s’offrait tout le confort et la latitude nécessaires pour ériger un conte merveilleux et entraînant si tant est qu’il se fût un peu oublié lui-même afin de se consacrer réellement à son intrigue et ses personnages. Si ces derniers sont parés de leurs plus beaux atours et peinturlurés à souhait comme l’exige l’univers du cinéaste, ils souffrent d’une image de pantins désarticulés tout juste bons à jouer les faire-valoir et à servir la cause de la marque Burton. Dans les coulisses d’un monde bigarré a priori ensorcelant, rien ne vit et rien ne vibre, si ce n’est une cohorte d’effets spéciaux ne parvenant pas à minimiser les lacunes narratives d’une production rapidement cataloguée longue et soporifique. Burton, dans un délire d’autosatisfaction, lance des bouteilles à la mer de féérie rigide et sans âme qui repose sur une unique grosse ficelle, celle d’en mettre plein la vue avec la forme en méprisant purement et simplement le fond. Si l’on se réfère à des films d’ « enfants-héros » comme Les Goonies, Super 8, Harry Potter, L’Histoire sans fin, E.T. l’extra-terrestre ou Stand by me – d’où s’échappent l’espièglerie, le drame, l’humour et l’aventure comme un voyage initiatique et vibrant vers la vie adulte, Miss Peregrine à côté fait pâle figure et a bien du mal à transfigurer le genre. Il faut croire que Burton a oublié d’injecter pétulance et extravagance à des gamins ternes, léthargiques et semi-dépressifs qui assomment et foutent le bourdon du début à la fin ; réussir l’exploit de faire d’une bande de gosses au premier abord plutôt sympathiques un carnaval d’êtres falots et ennuyeux à mourir, aussi sérieux et emphatiques que de vieux acteurs blasés, cela relève du génie le plus disgracieusement audacieux.
Retenons tout de même de cette œuvre les vingt premières minutes (les plus intéressantes), celles qui consacrent la jolie relation entre un grand-père fantasque – à la destinée à la fois triste et fantasmagorique – et son petit-fils, l’heure quarante suivantes n’étant qu’une succession de scènes inconsistantes et cafardeuses. Asa Butterfield (Hugo Cabret), malgré une certaine implication, ne parvient pas à faire oublier les manquements et l’austérité de ce long-métrage froid qui n’approfondit pas la psychologie de ses personnages et se contente de dérouler mollement une histoire où la technique étouffe la narration et met en péril une direction d’acteurs-trices plus que moyenne, tout en courant désespérément après une émotion qui ne viendra jamais.
Points positifs : la sublime et hantée Eva Green, magnifique de douceur et de ténacité en mère de substitution dont la présence n’est malheureusement que toute relative (pourtant largement mise en avant sur l’affiche) et Samuel L. Jackson en terreur nocturne démoniaque à souhait et dont l’élégance n’a d’égal que le fiel. Cela ne suffit pas à rattraper un manque d’unité entre les personnages, de nombreux temps morts comblés par de l’image bidouillée et une adaptation pauvrette et fainéante. Burton a visiblement l’art et la manière de se plagier lui-même en parvenant à faire (bien évidemment) moins bien, et réussit le tour de force incroyable de ne rien obtenir du spectateur, ni rire, ni peur, ni larmes, l’encéphalogramme se faisant plat, très plat, du côté de la salle obscure…
« Son imaginaire, Burton l’explore de moins en moins en cinéaste, le gère de plus en plus comme un parc d’attractions. » Cahiers du Cinéma.
À voir :
Beetlejuice
Batman
Edward aux mains d’argent
Batman : Le Défi
Ed Wood
Mars Attacks !
Sleepy Hollow etc.