Rencontre avec Romain Serman, directeur de Bpifrance USA. Il nous fait part des ambitions de la banque publique d’investissement outre-Atlantique et des axes de progression de la sphère entrepreneuriale française. BPIFrance USA sera-t-il un diffuseur d'optimisme auprès des entrepreneurs français ?
Romain Serman est l’actuel directeur de Bpifrance USA. Compagnie financière créée par le gouvernement Ayrault en 2012, Bpifrance est en charge du financement des start-ups, des PME et des ETI en soutien des politiques publiques du gouvernement et des régions. En partenariat avec Business France, elle sélectionne chaque année des jeunes pousses françaises amenées à rejoindre un programme d’accélération de trois mois à San Francisco, appelé Impact USA (anciennement ubi i/o). Mais outre-Atlantique, l’engagement de Bpifrance auprès des entrepreneurs ne s’arrête pas là. L’Atelier a rencontré Romain Serman, directeur de Bpifrance USA pour échanger sur les ambitions américaines de cette banque pas comme les autres.
Quelle est la vision portée par Bpifrance USA ?
Romain Serman : Un véritable boom entrepreneurial se produit en France depuis quatre ans. Les meilleures start-ups issues du système ne devraient pas être de simples championnes de France mais du monde ! Se tourner vers le marché américain consiste en une évolution naturelle pour une entreprise d’abord car le marché français demeure restreint. Dans le domaine des biotechnologies par exemple, la France représente 0,6 % du marché mondial tandis que les États-Unis en concentre 40 %. De surcroît, dans le domaine des nouvelles technologies comme dans beaucoup d’autres, le succès passe par le savoir-faire. Or la Californie est une véritable « terre tech » dont le savoir-faire se construit depuis des décennies. En comparaison, la France ne cumule que quelques années d’expérience en la matière. À titre d’exemple, la gestion de certains fonds en capital risque de la Silicon Valley se transmet de père en fils ! En parfois près de 30 ans d’existence, ces venture capital (VC) ont probablement traité des dizaines de milliers de dossiers de start-ups, ce qui leur permet aujourd’hui de s’appuyer sur un socle de compétences solides.
À ce propos, l’industrie viticole française est une illustration parlante. Pour apprendre à faire du bon vin, il vaut mieux se rendre dans un domaine aux alentours de Bordeaux ou en Bourgogne où sont produits les plus grands crus depuis des dizaines de générations. Par analogie, il est difficile de construire une entreprise technologique sans observer ce qui se passe en Silicon Valley et en faire l’expérience. Bpifrance USA se veut ainsi une entreprise d’import-export de fondateurs d’entreprises françaises sur le sol américain.
« Telle la région Bordeaux spécialiste du bon vin, La Silicon Valley dispose d'un savoir-faire tech. »
Comment mettez-vous en pratique cette vision ?
D’abord, mon rôle est de gérer le deal flow, autrement dit d’identifier des candidats idéaux pour réaliser soit du financement par dette soit de l’investissement direct. Depuis le 8 janvier dernier, 260 dossiers sont passés entre mes mains soit deux par jour environ, ce qui est un chiffre très conséquent. Il a d’ailleurs quasiment doublé par rapport à l’an passé.
Ma deuxième mission consiste à soutenir les entrepreneurs dans leur installation ou prospection aux États-Unis. Bpifrance USA se conçoit comme une plateforme de services adossée à notre activité bancaire. Ainsi, au-delà de la somme investie dans une entreprise, nous sommes prêts à offrir une couche de services aux entrepreneurs. Cet accompagnement se décline d’abord par la familiarisation avec les codes de la culture business aux États-Unis, en particulier de la Silicon Valley. En effet, si en apparence, peu d’éléments semblent différer entre nos deux cultures, les nuances sont pourtant bien réelles ! La ponctualité, sujet pris très au sérieux par les Américains, en est un bel exemple. J’ai la chance de résider depuis sept ans à San Francisco, ce qui me permet de fournir des conseils précieux aux entrepreneurs. Par ailleurs, j’essaie de les mettre en relation avec les bonnes personnes, VC ou corporate en prenant soin de générer une situation gagnante-gagnante pour chacun des partis. Il y a un an et demi, j’ai pu ainsi faire découvrir Phantom, l’enceinte ultra puissante développée par Devialet à Marc Benioff, qui a lui-même présenté le produit à Tim Cook. La patronne du retail chez Apple, Angela Ahrendts, conquise par l’enceinte l’a rendu disponible à l’achat dans les Apple stores de San Francisco dans les jours qui ont suivi.
"The role of VC is chief psychologist.” Human Capitalist. Another great post by @msuster https://t.co/HG9v37xn92
— Romain SERMAN (@romainserman) 11 octobre 2016
Aussi, nous essayons d’aider pour le recrutement d’équipes locales, ce qui constitue un sujet délicat pour les start-ups.
Enfin ma troisième mission consiste à développer nos relations avec des VC de la Silicon Valley. Je peux ainsi être amené à leur présenter des dossiers de jeunes pousses françaises qui correspondent à leurs critères d’investissement. Aujourd’hui, lever des fonds en amorçage, série A et B est tout à fait possible en France. Pour des montants supérieurs - on parle donc d’investissement à plusieurs centaines de millions de dollars, le marché manque encore d’acteurs. Dès lors, il devient impératif de développer nos relations avec les VC américains. Cela fait partie du développement de la marque française à l’étranger.
Aux États-Unis, vous inspirez-vous d’un modèle en particulier ?
Silicon Valley Bank (SVB) est une banque dont le modèle nous inspire beaucoup, propre à la culture de la Silicon Valley. Elle a été créée au début des années 80 par les plus grands VC de la baie de San Francisco en partant du constat qu’il n’existait pas de services adaptés au financement particulier de l’entrepreneuriat. Avant de consolider une activité de banque privée dans les années 2000, elle s’est avant tout construite par et pour le dépôt des montants levés auprès des VC par les entreprises de la Silicon Valley faisant d’elle une banque spécialisée dans les start-ups high tech. C’est un modèle pour Bpifrance USA et nous sommes aujourd’hui en discussion avec eux pour soutenir la croissance des jeunes entreprises françaises.
Quels bons conseils pouvons-nous tirer du modèle américain de financement des jeunes entreprises ?
Ce n’est pas de leur technique dont nous devons nous inspirer car elle est la même partout mais plutôt de leur culture. Cependant, il n’est pas question ici d’opposer les États-Unis ou la Silicon Valley à la France mais plutôt la Silicon Valley au reste du monde ! La région de la baie de San Francisco cultive effectivement une philosophie de l’optimisme sans pareil. Et nous devrions l’acquérir !
Pourtant, le discours qui consiste à marteler « qu’en Silicon Valley, tout est mieux » repose sur des croyances fausses. En tant que start-up early stage française, lever des fonds est probablement une ambition plus facile à réaliser en France qu’à San Francisco. Il y a en effet peut-être 15 fois plus d’argent en Silicon Valley pour soutenir des projets en phase d’amorçage mais il y a probablement 100 fois plus de concurrence tant la scène entrepreneuriale y est internationale.
En revanche, développer un sens de l’optimisme, tout comme un sens de l’ambition ainsi qu’une culture du partage de l’information - en opposition au travail en silos - font partie des axes d’amélioration de l’entrepreneuriat français.
De plus, parmi les VC, les start-ups françaises ont la réputation de concentrer leurs efforts sur l’élaboration d’un produit parfait en délaissant l’analyse de leur marché, ce que les start-ups américaines savent très bien faire. Si cette particularité n’est pas sans lien avec la qualité des ingénieurs formés en France, les entrepreneurs français devraient apprendre à mieux appréhender leur marché au sens large, à renforcer leurs stratégies go-to-market, à bien choisir leurs canaux de distribution et leur modèle économique.
« Développer un sens de l’optimisme, tout comme un sens de l’ambition ainsi qu’une culture du partage de l’information - en opposition au travail en silos - font partie des axes d’amélioration de l’entrepreneuriat français. »
Là encore, ne serait-il pas question de « maturité du savoir-faire » dont on parlait plus haut ?
Nous commençons à voir émerger une génération d’entrepreneurs à succès expérimentés à l’exemple de Frédéric Mazzella. Toutefois, nous ne sommes qu’aux prémices du cumul de nos expériences entrepreneuriales. Un entrepreneur essuie des échecs, parfois des succès, qui sont autant de cycles. Or, au fil du temps, les entrepreneurs échangent entre eux - les jeunes entre eux puis les jeunes avec les moins jeunes. Ce qui donne naissance à un partage de connaissances et de bonnes pratiques fructueux.
Cependant, cela consiste en un processus de longue haleine. Un écosystème ne se crée pas du jour au lendemain ! Les entrepreneurs de la Silicon Valley en 1990 n’étaient d’ailleurs probablement pas aussi bons que l’est l’actuelle génération.
En France, nous subissons les effets de certains éléments de toxicité qui ont ralenti notre progression. Nous sommes moins ouverts aux vents mondiaux en comparaison de la Silicon Valley où il existe un fort degré de mixité culturelle. Aussi, les pays européens, nombreux, constituent de petits marchés fragmentés qui forment un terrain d’exploration complexe pour les start-ups. Enfin, bien que le marché du financement de l’innovation se consolide, les équipes de VC devraient se régénérer et s’internationaliser. Cela viendra !
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