La Peur est est de mes coups de coeur de la rentrée. Elodie Menant a adapté une nouvelle du grand auteur autrichien, Angoisses, après avoir déjà travaillé à partir d'un autre de ses textes, La pitié dangereuse, pour lequel elle a reçu le prix de la révélation féminine au festival d’Avignon en 2013.
Elle réussit à la perfection à installer un climat que le grand maitre du suspense, Alfred Hitchcock n'aurait pas renié. Le décor évoque Fenêtre sur cour, mais il a surtout la qualité de fonctionner comme un piège qui se referme inexorablement sur Irène.
Irène est une jeune femme qui s'ennuie. Elle a du mal à communiquer avec son mari Fritz, avocat pénal. Ils sont en désaccord sur la notion de la culpabilité et de la justice. Et surtout ils ne partagent plus beaucoup d'activités. On comprend assez vite qu'elle a une liaison avec un musicien. Un soir, une femme l’interpelle. Elle prétend être la petite amie de son amant, interdit à Irène de revenir le voir et lui réclame de l’argent en la menaçant de tout révéler à son mari. Irène cède. C'est l'engrenage. L'angoisse que son mari apprenne sa liaison la mène sur la pente de la folie.Pourtant tout commence dans la paix sur l'air de Love and Marriage, interprété par Frank Sinatra en 1955. Il faut écouter les paroles rassurantes à propos de l'indéfectible lien qui unit les époux alors que le décor se met en place.
La pendule en formica et aux aiguilles de cuivre, typique de ces années là (il y avait la même en version turquoise dans la cuisine de mes parents) indique l'heure d'un petit-déjeuner qui sépare (déjà) les conjoints. Irène (Hélène Degy) sollicite son avis sur ses croquis de mode. Il (Aliocha Itovich) objecte qu'il n'a pas le temps de se "distraire", dit-il.
Elle demande alors si elle est autorisée à sortir le soir pour aller écouter Chopin. il acquiesce. On remarquera que la femme dépendait du bon vouloir de son mari et que celui-ci semble l'encourager à se distraire. C'est une pièce à verser au dossier, si je puis m'exprimer ainsi.
Une vingtaine de jours plus tard la situation s'est durcie. Fritz exprime la difficulté de son métier. Il est avocat, pas juge, et refuse de se sentir responsable de défendre des coupables : j'ai besoin de me protéger émotionnellement.
Peut-on prendre et rendre sans conséquence ? Est-il suffisant que chacun fasse des efforts pour que tout s'apaise ? Le spectateur commence à douter. Certes Irène ment, mais on voit bien que les cauchemars de sorcière qu'elle invoque ne sont pas loin d'être "sa" réalité.
Tutti Frutti de Little Richard est le support d'un intermède très réussi. Irène et Fritz se retrouve dans un rock endiablé parfaitement maitrisé.
La peur fait réfléchir sur le sens du mensonge : par lâcheté ou par peur de la punition ? Fritz aura beau argumenter que la peur détruit alors que la vérité apaise Irène témoigne que la vraie question est de parvenir à surmonter la honte plus que la crainte.
Chaque mensonge est une nouvelle faute à avouer. Au fil des répliques le personnage de Fritz est considéré sous un autre angle. Il est avocat (y compris des causes perdues) à l'extérieur mais devient juge dans l'intimité de son foyer.
La pièce n'est pas une totale surprise puisqu'elle a été à l'affiche du festival d'Avignon sur trois éditions et qu'elle revient d'une longue tournée. Le public parisien, une fois n'est pas coutume, est servi en dernier.
Mise en scène, scénographie et adaptation : Elodie Menant
Avec Hélène Degy Aliocha Itovich et Ophélie Marsaud
Décor : Olivier Defrocourt
Costumes : Cécile Choumiloff et Sylvie Lefray
Au Théâtre Michel
38 rue des Mathurins - 75008 Paris
Métro : Havre-Caumartin
Du 07 octobre au 31 décembre 2016
Du jeudi au dimanche à 19h00
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont d'Olivier Brajon