Inspirée par les vêtements de Jacquemus, touchée par la grâce de la couleur bleu, la jeune artiste française de 22 ans, Estelle Rajaonarivony cherche à comprendre le monde, les réseaux sociaux, et elle-même en s'aidant de son imagination fertile.
L'art s'est ouvert à elle de différentes manières. D'abord par la pratique du piano puis par ses théories. C'est suite à son entrée dans une mise à niveau d'arts appliqués (MANAA) qu'elle s'intéresse à l'art plastique. Tel un Pygmalion, son partenaire de l'époque, amateur d'art, lui enseigne ce monde du Beau et nourrit sa soif de création: " C'est lui qui m'a donné envie de sauter le pas et de me lancer dans ce qui m'animait vraiment " . Celle qui se lance alors dans cet univers vaste et créatif, avoue sa lacune en dessin mais aucun problème, sa forte imagination comblera l'absence de pratique.
Sa formation peut faire rire mais détaille la nécessité d'expérimenter les différents enseignements pour se forger une culture immense et variée. Elle commence par une classe préparatoire HEC puis une hypokhâgne qui l'éloignent malgré elle de la créativité. Après sa MANAA, elle se lance dans un BTS Design de mode qui nourrit son attrait pour les formes, les couleurs et les vêtements. Mais, en milieu d'année, elle cesse la formation à cause des contraintes. Elle prépare alors le concours de l'École d'Arts de Paris-Cergy et avoue: " . " Libre de produire ce qu'elle souhaite, elle se lance à cœur ouvert dans cette entreprise. Non sans être nostalgique, elle décide d'oublier ses précédents enseignements tout en ne regrettant pas son parcours. Elle rajoute cependant des éléments importants pour la compréhension de sa créativité: " C'est d'ailleurs dans cette période de préparation à ce concours que j'ai eu l'impression d'avoir appris le plus, d'avoir le plus questionné ce qui m'entourait Je porte beaucoup d'intérêt pour la sociologie ou encore la psychologie ou la philosophie. Ces domaines m'inspirent beaucoup, aussi j'aime à penser l'Art aux travers de ces enseignements, mais aussi à le confronter à d'autres disciplines qui peuvent paraître incompatibles. Il est vrai, cependant, que j'ai beaucoup de plaisir voire plus de plaisir à découvrir de nouvelles pratiques artistiques de façon autonome mais je pense qu'il me faut gagner en maturité artistique et qu'il me reste beaucoup de choses à apprendre, voilà pourquoi j'aimerais rentrer dans une école d'Art. "
En observant attentivement ses œuvres, allant des photographies, des vidéos, des photomontages et des selfies, vient une question primordiale sur la relation qu'entretient l'artiste avec les différents supports: " Je pense qu'il existe de manière objective une complémentarité entre tous les supports artistiques, qui est pour moi une nécessité. Néanmoins je pense que si j'aime à ce que les supports artistiques soient complémentaires, c'est principalement car j'aime toucher à tout et surtout décloisonner l'Art. D'ailleurs, cette complémentarité donne plus de matières au sujet mais surtout cela permet d'aborder toutes ses facettes. Il est très rare que je reste cantonnée à une technique. Généralement je me concentre sur une pratique pour la découvrir avant tout, dans un premier temps, puis je la mets en pratique. Une fois que je suis satisfaite de mon rendu et qu'il représente vraiment la matérialisation de mes pensées, je change de techniques et essaye de lui apporter une nouvelle dimension. " La photographie est cependant une technique qu'elle affectionne particulièrement. Même si elle ne l'avait jamais vraiment pratiquée, cette technique l'attire depuis longtemps et s'inspire de l'œuvre de Martin Parr: " Son univers de couleurs saturées, mais aussi le fait qu'il arrive à capturer l'âme d'un instant m'a toujours fascinée. "
La couleur prime beaucoup dans son art. Elle voit d'abord en couleur avant la forme. C'est le bleu qui prime, elle l'affectionne depuis son enfance, comme un compagnon fidèle. Elle l'apaise et l'attire. " C'est assez bizarre. Les ressentis sont en couleurs pour moi, pas sous formes de mots ou de formes, mais en couleurs. L'odeur a une couleur, une émotion a une couleur, le bruit a une couleur, tout est couleur. Pour moi la couleur façonne la forme et non l'inverse. Les couleurs que j'utilise sont aussi propres à certains moments de ma vie, notamment sur mes émotions, finalement les couleurs que j'utilise dans mes créations sont comme mon journal intime. "
Une autre série voit le jour: Afin d'animer cette étrange intimité, l'artiste décide de filmer cette femme voilée en alternant avec un homme nu qui semble révéler ses tourments grâce à la danse que forme sa main peinte en rouge qu'il balade sur son dos. Fidèle à sa conception autobiographique, ces deux figures révèlent deux visions d'elle-même: " S'inspirant du En Suspens. Il s'agit d'une série photographique et autobiographique qui retrace précisément " la vie des sentiments ". Symboliquement, Estelle Rajaonarivony distille des mouvements du cœur ressenties durant cette année, entre le chagrin, la perte et la joie. A travers six photographies, elle tente ainsi de décrire un pan de sa jeune femme et le voile bleu cherche à dissimuler ce qui ne peut être révélé, par honte ou par pudeur. C'est aussi une manière de se confronter à ses pensées et ses actions: " il y a eu comme une dissociation entre mon esprit pensant et mon corps, un esprit envahit par un flot de pensées continues qui m'ont drainé, et parfois je ne me sentais plus en phase avec moi-même. " Dans la vidéo, il y a deux moi : le moi rationnel représenté par une danse fluide, aérienne et le moi passionné représenté par une main rouge. La passion est envahissante, et vient semer le trouble. La main prend tout, dirige tout et se fait menaçante. Comme la passion et l'irrationnel. " Journal d'un corps de Daniel Pennac, cette vidéo reflète cette sensation désagréable d'observer son corps comme appartenant à un étranger, créant un trouble entre l'âme et son réceptacle.
L'intime, le secret, les réseaux sociaux, le corps, autant de données pour tenter de comprendre l'esprit créatif d' Estelle Rajaonarivony. Ce n'est pourtant pas assez pour la définir, doit-on vraiment chercher à résumer son art? Une chose est sûre, cette artiste est un électron libre qui n'a pas fini de créer et de redéfinir la dualité entre intime et public.