S’il est un crime de lèse-majesté qu’il vaut mieux éviter, c’est bien de gâcher un sujet en or, au potentiel conséquent (au moins sur le papier).
Connaissiez-vous jusqu’alors l’existence des « green card soldiers » ? Pour ma part, la réponse est « non ». À ma décharge, peu d’articles dans les médias généralistes se sont fait fort de relayer l’information. Ça m’apprendra à parfois trop me contenter de la surface, sans creuser la question.
Toujours est-il que lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de Soy Nero de la bouche-même de son réalisateur, je me suis alors dit qu’il s’agirait d’une belle occasion de réparer mon erreur.
La promesse d’une fiction engagée, potentiel pamphlet au propos enragé : je ne pouvais décemment pas passer à côté.
Sauf qu’entre la théorie et la pratique, il est un gouffre que certains ont beaucoup de mal à franchir et dépasser : Rafi Pitts, pourtant pertinent et très intéressant à écouter, s’est sur ce coup méchamment planté.
Et je ne parle pas ici d’un petit ratage. De ceux sur lesquels on serait prêt à passer l’éponge, en s’accrochant ci et là à des motifs de satisfaction qui, à défaut d’être pleinement convaincants, auraient toutefois le mérite de rendre le tout moins indigent.
Dans le cas de Soy Nero, rien ne sert, malheureusement, de s’accrocher aux branches. Le parti-pris choisi fait fausse route, et passe totalement à côté de ce qui pouvait faire l’essence d’un tel sujet.
Que le casting, Johnny Ortiz en tête, soit de qualité, que la mise en scène n’ait pas grand-chose à se reprocher (rien de fou, mais rien de majeur à déplorer), tout cela ne pèse finalement pas bien lourd face à la superficialité du scénario, que j’attendais (sûrement trop) à un tout autre niveau.
Si je vous ai chanté les louanges de Belgica quant à sa profondeur et sa finesse, sachez que Soy Nero en est, pour résumer, l’exact opposé.
Que retenir de ce dernier ? Qu’un immigré sans papiers sera toujours rejeté et stigmatisé, quel que soit son dévouement à un pays dans lequel il a pourtant grandi. Le message, s’il reste par les temps qui courent plus que jamais fondamental, n’a définitivement rien d’original.
À quoi bon dès lors abattre un atout majeur tel qu’un « green card soldier » pour ne jamais chercher à en explorer toute la complexité, tout comme aborder de front le paradoxe et l’hypocrisie de pareil statut ? Finalement, pourquoi ne pas avoir cherché à s’en servir pour renforcer un propos qui aurait pu mener à un véritable brûlot ?
Balayées les interrogations sous-jacentes sur la légalité du procédé. Sur la création subséquente d’apatrides qui ont pourtant risqué leur vie pour les États-Unis. Sur le devenir, l’absence d’avenir de ces individus.
Au lieu de cela, Rafi Pitts se contente d’aligner les situations convenues, vues et revues sans réelle plus-value, comme si celles-ci suffisaient intrinsèquement à nous faire éprouver la tragédie de la situation traitée.
À ce titre, le chapitre réunissant Nero et son frère dans une villa de Beverly Hills, si l’on en comprend bien l’objectif (quoi qu’il en soit, rien de bien subtil), n’en reste pas moins un moment passablement gênant, face à un traitement tellement naïf que le message, pourtant souhaité subversif, en devient totalement inoffensif.
Une telle thématique aux forts besoins de crédibilité se serait peut-être davantage pliée à l’exercice du documentaire (The Short Life of José Antonio Gutierrez par exemple, qui, sans être parfait aborde, lui, la problématique de front), tout au plus du docu-fiction.
En l’état, j’en suis ressorti avec la désagréable sensation d’avoir été pris pour un imbécile, pour ne pas dire un con.
Une très grande déception…