Monsanto, l’éternel coupable

Publié le 17 octobre 2016 par H16

Pour fonctionner auprès des esprits impressionnables, une religion a besoin de quelques principes de bases immuables : l’apport de réponses à toutes les questions philosophiques importantes (qui suis-je, pourquoi suis-je là, pourquoi est-il impossible de trouver un plombier le dimanche ?), la description d’un but généralement plus grand que l’individu qui vise à le transcender et lui amener la rédemption pour toutes ses fautes, réelles ou imaginaires, et la désignation du mal, de ce qu’il ne faut pas faire, de la faute ou de l’ennemi ultime qu’il s’agira de combattre.

Dans la religion écologiste, les réponses sont fournies par la Nature qui Sait Pourquoi Les Plombiers Sont Introuvables Le Dimanche connaît et attribue un rôle à chacun, la purification transcendantogène passe par une syntonisation parfaite avec Gaïa, et l’ennemi numéro un est évidemment celui qui veut s’affranchir des limites imposées par l’univers.

Dans ce triptyque, Monsanto joue bien évidemment le rôle de cet ennemi.

Et quel bel ennemi : multinationale roulant sur les dollars de la méchanceté et (forcément) de la corruption, firme capitaliste sans foi ni loi à l’origine de l’agent orange qui déferla sur le Vietnam et tua plein d’innocents dans d’atroces souffrances, c’est surtout la méga-corporation qui insinue des OGM (forcément méchants) partout où elle le peut et badigeonne de glyphosate des champs entiers remplis de petits travailleurs indiens dont les poumons se troueront plus tard dans des spasmes abominables avant une agonie misérable.

Peu importe que la firme qui fit cet agent orange n’a rien à voir avec le semencier. Peu importe même que cet agent orange n’ait pas été inventé par Monsanto. Peu importe qu’une demi-douzaines d’autres firmes ont aussi produit cet agent orange sans jamais se retrouver sous le feu des accusations écologistes à ce sujet. Peu importe que cette firme soit finalement bien plus petite que Starbucks ou Xerox. Peu importe que Monsanto ne soit pas du tout la seule entreprise à breveter des semences (tous les semenciers le font). Peu importe que tout ceci soit amplement sourcé : Monsanto est un diable pratique.

À tel point qu’une tripotée d’organisations non gouvernables a décidé d’organiser un procès factice de l’abominable firme qui fournit le monde en produits méchants pour dissoudre des agriculteurs en plein champ et empoisonner les 99% avec du maïs mutant dévoreur de tripes. Le 14, 15 et 16 octobre, Monsanto s’est retrouvé accusé de « violations des droits humains, crimes contre l’humanité et écocide » à La Haye, ou la firme sera jugée (et condamnée, soyez-en sûr) pour tous ces horribles crimes.

Évidemment, le choix de La Haye aux Pays-Bas ne doit rien au hasard puisqu’il s’agit aussi du siège de la Cour Pénale Internationale (CPI). Les activistes qui organisent leur parodie de procès tentent ici, par la proximité géographique, de laisser croire au public que Monsanto aurait maille à partir avec cette Cour.

Et pour parfaire l’illusion, les effervescents militants ont poussé le réalisme jusqu’à faire juger le cas par – je cite Le Monde, jamais en retard pour relayer une fanfaronnade écolo« cinq juges de renommée internationale », comprenant notamment une consultante sénégalaise pour la CPI pour le Rwanda, une assistante australienne auprès du bureau du procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, un rapporteur mexicain au tribunal Russell sur la répression en Amérique latine, bref un quintuplet d’acteurs périphériques qui n’ont jamais été juges mais qui sauront trouver la force morale de tomber sur Monsanto à bras raccourcis, qui, au passage, n’est pas représenté dans ce tribunal.

En somme, des militants massivement anti-OGM, anti-pesticides, anti-capitalistes tiennent une imitation caricaturale de procès exclusivement à charge, ouvertement pour condamner la firme et seulement elle sur des chefs d’accusation particulièrement flous et attrape-tout, à commencer par le néologisme d’écocide, qui revient au menu une énième fois. L’écocide, c’est cette lubie écologique qui consiste à faire croire qu’il n’existerait pas déjà toute une batterie de lois relatives à la protection de l’environnement, et qu’il faut donc en créer de nouvelles pour à la fois définir cette abominable atteinte, et à la fois préciser la taille des geôles et des cachots qui attendent ceux qui s’en rendraient coupable.

Cela fait des années que ces militants tentent, par tous les moyens, de pousser cette notion d’écocide dans les petits papiers juridiques internationaux afin de matraquer toute firme qui ne s’aplatirait pas à leurs commandements religieux. Au passage, dans cet exercice grotesque, on retrouve d’ailleurs – et ça en dit long – Corinne Lepage, toujours à la pointe des combats gagnés d’avance et des procès en sorcellerie, cette avocate dont on n’aura pas de mal à rappeler les meilleures saillies sur la nécessité de tenir proprement à jour des listes d’opposants à ses théories fumeuses, afin de leur faire payer, le jour venu, leurs idées nauséabondes. La tenue de liste de déviants, que voilà une belle activité qui ne plonge pas immédiatement celui qui la pratique dans le bonheur sucré des heures les plus youplaboum de notre Histoire, n’est-ce pas ?

Vous l’aurez compris : on ne peut qu’être consterné par ce genre de petits prurits militants.

D’une part, il illustre assez bien le fond particulièrement nauséabond de ces individus qui ne rêvent que de grands procès, de tribunaux bien fermes et bien droits, de bûchers bien hauts et de prisons bien basses. Fut un temps, les communistes passaient leur temps à ce genre de lubies. L’écologie servant de roue de secours à ce collectivisme échoué sur les bancs sablonneux de l’Histoire, il n’est pas étonnant que les vieilles habitudes ressortent.

D’autre part, on doit s’étonner du choix de la cible, Monsanto, encore une fois Némésis indépassable des mouvements anti-OGM, anti-agriculture industrielle, anti-capitaliste, anti-tout. Pourquoi nos frétillants énergumènes ne s’attaquent-ils jamais à d’autres firmes ? Peut-être parce qu’elles seraient toutes nettement plus grosses et donc immédiatement trop dangereuses au vu de procès (réels, ceux-là) en diffamation que ces ONG et autres associations aspirateurs à subventions risqueraient fort de perdre avec fracas ?

Mieux encore, le choix du sujet laisse pantois. Pourquoi, avant d’essayer d’aider les proverbiales générations futures, nos belles-âmes écologiques n’essaient pas de sauver les générations actuelles ? Il est où, le procès contre les dictateurs les plus visibles et les plus néfastes de la planète ? Ils sont où, ces militants, lorsqu’il s’agit de dénoncer les responsables de tous ces morts, ici et maintenant ? On attend encore un procès monté par des ONG contre Obama et ses drones ; contre l’Arabie Saoudite ou le Qatar et leur vision si particulière des droits de l’Homme ; contre Maduro et sa politique économique catastrophique qui a plongé tout un pays dans la misère (au point d’obliger l’État vénézuélien à lâcher l’idée d’un contrôle des prix tant la situation était désespérée) ; et les exemples ne manquent pas. Mais apparemment, nos petits chevaliers de Gaïa préfèrent, de loin, s’en prendre – encore et toujours – à Monsanto, plus facile à faire détester après des décennies de propagande outrancière.

Enfin, comment ne pas noter le choix bien franco-français de notre presse si délicieusement neutre et balancée de relayer ces clowneries pathétiques ? Aucun organe ne manque à l’appel : Libération, Le Monde, RFI, France Inter, RTL, tous se sont dressés pour expliquer en détail ce qui ne relève à l’analyse que d’une mise-en-scène à charge grotesque.

En réalité, pas un article, pas un militant ne rappellera qu’il peut, justement, tenir ce genre de parodie de Justice précisément parce qu’il a le ventre plein grâce aux progrès apportés par Monsanto et toutes les autres firmes agro-alimentaires, semencières ou phytosanitaires de la planète. On assiste ici aux tristes pitreries d’enfants riches et repus vivants dans des sociétés si opulentes que ces guignols peuvent consacrer plusieurs semaines (!) – le « jugement » final ne sera pas communiqué avant décembre – à ce genre de spectacle sans souffrir de n’avoir pas labouré, planté, récolté et traité pendant ce laps de temps.

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