Non, je n’y suis pas allé de gaieté de coeur. J’ai un contentieux personnel à régler avec Gael García Bernal, datant désormais de plusieurs années. Que voulez-vous : belle gueule, talentueux, populaire, progressiste, militant, engagé. N’en jetez plus, autant vous dire qu’à la moindre prononciation de son nom, ma moitié ne se tient plus. Et moi de me plonger dans mes pensées, à ruminer pourquoi je n’ai pas été happé par la même destinée.
Ou l’art de faire preuve de jalousie très mal placée !…
Il n’empêche que depuis, je mets les freins dès qu’un nouveau film avec le plus célèbre des artistes mexicains nous parvient.
La dernière fois que j’ai pu assister à la projection d’un de ses films, c’était une nouvelle fois ici, à Montréal.
Il doit aimer le froid le Bernal.
C’était une glaciale soirée d’hiver, au cinéma L’Impérial, pour la projection de Qui est Dayani Cristal ?, docu-fiction sur le parcours des migrants sud-américains cherchant coûte que coûte à rallier les États-Unis, cela va sans dire au péril de leur vie.
Un film puissant, à défaut d’être totalement convaincant, mais qui possédait son lot de plans très marquants.
D’accord, je fais un peu le rabat-joie. Mais devinez quoi ? À la fin du métrage, le bougre était là. Sur scène, face à moi. Ou une certaine idée de l’arrogance et de la muflerie qui ne m’étonna même pas !…
… Non, Gael García Bernal est énervant car, et je dois bien l’admettre, outre le fait que les sujets qu’il porte sont souvent très intéressants (socialement et politiquement), l’acteur, l’homme probablement aussi, sont eux-aussi régulièrement très bons.
Et ce aussi imparfait que puisse être le film en question.
Neruda, le nouveau long-métrage de Pablo Larraín (déjà à l’œuvre sur No) projeté dans le cadre du FNC 2016, fait, hélas, partie de ceux-là… sans être un ratage pour autant, loin de là.
Car s’il est une chose de Neruda à souligner et à saluer, c’est bien son parti-pris. À la fois osée, un peu barrée, pour sûr totalement maîtrisée, l’idée d’avoir fait de Pablo Neruda à la fois le personnage principal, le scénariste, et dans une certaine mesure, même le réalisateur du film, est sans conteste l’une de ses plus grandes forces, permettant une exploration subtile, sans complaisance, tout en décalages et en paradoxes de la personnalité complexe de Neruda.
– Le choix d’avoir ancré l’histoire en 1948, lors de la traque des communistes, et donc de ce dernier, par le pouvoir chilien en place avec lequel il a allègrement flirté, n’en est, à ce titre, que plus adéquat. –
Derrière le politique, l’homme de mots, qui n’avait pas son pareil pour parler au peuple et ses maux. Le poète qui haranguait les foules par le verbe, laissant alors le champ libre à la bête politique, au responsable étatique.
Le tribun communiste au mode de vie passablement bourgeois, l’illusion d’un homme du peuple qui se rêvait pourtant bien au-delà.
Le plus fort dans tout ça ? En avoir brossé un portrait sans concessions, tout en faisant preuve d’une sincère compassion.
Le Pablo de Neruda est détestable d’indolence, oisif, égocentrique, un grand bébé éprouvant un perpétuel besoin d’être admiré… Mais de cette soif de reconnaissance et du désir ardent de marquer l’Histoire, le poète chilien saura aussi en tirer les mots justes pour fédérer autour de sa personnalité, et par là-même de donner espoir à tous ceux qui, face à l’arbitraire et à l’oppression, n’ont pas la possibilité de s’exprimer.
Une véritable vie de roman, que Pablo Larraín n’hésite pas à aborder comme telle. Larraín, ou Neruda lui-même ? L’un comme l’autre, en bons conteurs, ne savent que trop bien qu’un héros n’est rien sans un antagoniste à sa mesure. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » comme le déclama Corneille. Et là, nos deux compères de sortir de leur chapeau Oscar Peluchonneau.
Je vous le donne en mille : Gael, en policier fasciste un peu con-con, nanti d’un fort complexe de Napoléon.Le véritable narrateur de l’histoire, celui par lequel la personnalité de Neruda se dévoile, se révèle, se construit et se déconstruit à mesure d’une chasse à l’homme (réelle, fantasmée) dont Pablo n’a pas l’air de mesurer la dangerosité.
L’écriture des deux personnages, ciselée et à l’humour savamment dosé, tragi-comique aux forts relents pathétiques, fait mouche, et témoigne surtout de la part de Pablo Larraín d’une parfaite compréhension et d’une grande maîtrise de son sujet, rendant ainsi pleinement justice au symbole mondialement connu que Pablo Neruda était.
Sans ménager toutefois la figure politique, l’homme de loi de peu de foi, au vernis de vertu aussi écorné que ceux auxquels il s’est opposé.
Maitrise de son sujet, oui. Niveau rythme du récit, en revanche, ça pose davantage souci…
C’est le problème d’être passionné et de faire montre d’une (trop) grande générosité : bien souvent, on ne sait jamais quand il faut s’arrêter. Dans le cas de Neruda (et le joli minois de Gael Garcia Bernal, n’en déplaise à madame, n’y suffit pas), Pablo Larraín, notamment sur le dernier tiers du film, aurait largement pu tailler dans le gras.
En fait, une fois la pirouette scénaristique dévoilée, le suspense fatalement avorté : dès lors, le cheminement vers la conclusion ronronne, diluant des enjeux jusqu’alors pourtant savoureux.
Neruda le flamboyant laisse alors place à Pablo le lourdaud, oubliant malheureusement au passage que les histoires les plus courtes, comme les plaisanteries d’ailleurs, sont souvent les meilleures.
Allez, sans rancune Gael. Le rendez-vous est de toutes façons pris pour ton prochain film ; à Montréal, ou ailleurs !