La curiosité du chevreuil forestier

Par Spiga

Arrivé bien avant l’aube au coeur de la forêt endormie, je m’installe au pied d’un vieil arbre et attend patiemment le lever du jour. La fraicheur de cette matinée d’octobre contraste avec la douceur de mes dernières sorties naturalistes. Le sous-pull thermique et le thermos de thé chaud rendent l’attente plus douce.

Peu avant l’heure bleue, quand le ciel est encore d’un noir d’encre, l’oeil n’a nul part où se poser. Cette amaurose transitoire a l’avantage de mettre en éveil les quatre autres sens. L’odeur de la forêt est ainsi démultipliée, tout comme la douceur de la mousse incrustée sur le vieux tronc. Le petit gout d’orange du thé fumant éveille les papilles et réchauffe le coeur et l’esprit. Seul l’ouïe semble rester au repos dans le silence apaisant et profond de la forêt endormie, jusqu’au moment où une douce mélodie lancinante se fait entendre au loin… Serais-ce le chant de la chouette chevechette? Lorsque les hululement se rapprochent, le doute n’est plus permis. La petite chouette pigmée s’approche à mesure que le jour se lève pour finalement se poser et chanter sur le grand sapin voisin. Une seconde puis une troisième congénère viennent la rejoindre pour former une chorale improvisée. Timides ou prudentes, les chevechettes quittent la scène juste avant que la lumière ne permette de les voir. Lorsqu’elles s’envolent silencieusement, j’aperçois furtivement une silhouette ailée qui se découpe dans le ciel bleu du matin. C’est beau…

La forêt poursuit son lent éveil matinal. Non loin de moi, un lièvre qui semble en retard sautille prestement sur le chemin forestier pour aller je ne sais où. Deux chevreuils font leur apparition dans la petite clairière située en contre-bas. Ils broutent en avançant lentement dans ma direction. Après une petite heure, la chevrette entre dans le bois suivie de son chevrillard. Elle s’approche de plus en plus jusqu’à se trouver à une dizaine de mètres. Curieuse, elle tente de m’identifier sans y parvenir (merci le camouflage). Rejointe par son petit, ils poursuivront leur route dans forêt sans avoir soupçonné qu’un humain était posté à quelques mètres.

Je reste encore une petite heure au pied de mon arbre. Le ciel est dégagé, l’atmosphère se réchauffe. Au loin, j’entend un coup de tonnerre qui retentit. Celui-ci me rappelle qu’en automne, la forêt accueille également des humains qui ont une autre définition de l’amour de la nature que moi… Peu après, je vois apparaître un chasseur qui avance silencieusement dans le sous-bois, le fusil prêt à « prélever » une vie passant à portée de tir. Il est temps pour moi de partir. J’enfile le gilet fluorescent que j’avais glissé au cas où dans ma poche afin de ne pas être confondu avec un sanglier au retour, et espère secrètement que la chevrette et son petit ne tomberont pas comme des feuilles jaunies sous les les balles plombées de l’automne.

Val-de-Travers, le 16 octobre 2016