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Rusalka, d'Arnaud Maret

Publié le 15 octobre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Rusalka, d'Arnaud Maret

La Rusalka. Elle sème le malheur autour d'elle. Elle souffre, bien sûr, de sa condition. Elle voudrait vivre une vie qui lui est interdite. Elle voudrait quitter les eaux pour la lumière du soleil. Mais elle ne le peut pas. Son destin est de rester éternellement à la lisière des humains. Elle ne peut les attirer vers elle, mais elle ne peut aller vers eux.

Rusalka, roman d'Arnaud Maret, est quelque peu inspiré de l'opéra éponyme d'Antonin Dvorak. Mais il ne s'agit pas dans ce roman, comme dans l'opéra, d'une ondine mythique, mais d'une femme bien réelle qui porte Rusalka en deuxième prénom. A un moment crucial de l'histoire, elle fait la description ci-dessus à l'homme qu'elle vient de retrouver, en le laissant douter qu'elle puisse lui correspondre.

Le corps déchiqueté par de multiples morsures d'un homme entièrement nu, âgé de quatre-vingts ans, semble-t-il, est découvert sur le couronnement du barrage de Mauvoisin, en Valais, le jeudi 16 août 2012. La vue de ce corps est de nature à faire pâlir toute âme, fût-elle insensible. L'homme tient serrée dans une main une photo jaunie qui représente un jeune couple devant une église baroque.

Valérien de Roten, 27 ans, est un des policiers chargés de l'enquête. Il vit à Sion avec Eléonore von Allmen, 26 ans, historienne spécialiste de l'animal, chargée de cours à l'Université de Fribourg. Ils vont se marier. Si elle n'a plus ses parents, ceux de Valérien n'accueillent pas leur future bru avec beaucoup d'enthousiasme quand il la leur a présentée. Heureusement, elle ne s'en est pas trop émue.

Le mort de Mauvoisin est identifié le lendemain. Il s'agit d'un certain Jiri Kubis, né en 1947, moins âgé donc qu'il ne le paraissait de prime abord. Il est d'origine tchèque, a immigré en Suisse en décembre 1968 et a été naturalisé Suisse par la suite. Si son corps est couvert de morsures, l'autopsie révélera qu' il a en fait été tué préalablement d'une balle de 9 mm tirée dans l'omoplate gauche.

Ce vendredi 17 août 2012, Eléonore doit donner un cours à l'Uni de Fribourg puis rencontrer Julien Kelsen, un professeur de l'Université de Munich. Avec lui, elle doit organiser une exposition temporaire sur le Valais pendant la Première Guerre mondiale au musée cantonal d'histoire de Sion et rédiger un article sur les rapports entre le Haut Valais et la Bavière pendant ladite Grande Guerre.

Rentré à 22 heures, Valérien est surpris de ne pas trouver Eléonore à la maison et commence à s'inquiéter, parce qu'elle ne l'a pas appelé. Le lendemain, samedi 18 août, il reçoit un appel téléphonique de la part de Julien Kelsen qui vient aux nouvelles: Eléonore a abrégé son cours d'une demi-heure et n'est pas venue à leur rendez-vous. Julien et Valérien conviennent de se rencontrer le jour même à Fribourg.

Au moment de quitter le bar où ils ont pris tous deux un café serré, Valérien fait tomber son imperméable. De la poche intérieure s'en échappe le dossier Jiri Kubis. Julien aide Valérien à en ramasser les pièces. Or ce dossier contient une copie de la photo du jeune couple devant l'église. Si Julien ne connaît pas les personnes, il connaît l'église et peut dire que la photo a été prise dans les années 1960:

C'est le parvis de l'église Saint-Nicolas, dans le quartier de Mala Strana à Prague.

En se rendant à l'Uni de Fribourg, Valérien parvient à savoir où Eléonore a disparu. Le dernier numéro du téléphone dont elle s'est servie à son bureau est celui de Swiss Last Minute, à l'aéroport de Zürich. A la faveur d'un bluff, il a appris qu'elle a pris l'avion pour Prague. Il prend l'avion à son tour pour la capitale de la République Tchèque: Prague revient toujours au centre du jeu, c'est là qu'il faut aller chercher les réponses.

C'est effectivement à Prague que Valérien va trouver toutes les réponses à ses interrogations sur le passé et sur le présent des protagonistes et que les pièces du puzzle se mettront en place. C'est l'occasion pour l'auteur de faire revisiter au lecteur la Prague de la fin des années 1960, et de partager avec lui son amour actuel pour cette ville, qui s'avère être un personnage à part entière de son livre:

Prague n'est pas de celles qui se donnent, ni même de celles que l'on prend. Elle est de celles qui apprennent à l'amant la patience ou le rendent fou.

Bien plus qu'une enquête en Mitteleuropa, aux réponses factuelles, ce roman pose les questions essentielles de toute existence. Il traite ainsi des rapports ambigus qu'entretiennent la maladie et la vie, l'amour et la haine, Éros et Thanatos, la pulsion sexuelle et la pulsion de mort, la force vitale et la force destructrice. Il se garde bien, à raison, de tracer une ligne bien nette de partage entre libre arbitre et destin...

Francis Richard

PS

Rusalka est le second volet d'un diptyque dont le premier est Écumes noires (2011).

Rusalka, Arnaud Maret, 396 pages Editions de l'Aire


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