Dans quelques jours se tiendra le premier tour de la primaire de l'écologie, qui désignera le candidat qui portera les couleurs d'Europe Ecologie les Verts (EELV) lors de la campagne présidentielle. Ecrire que cette primaire intéresse peu est une litote. Semblant condamnés à un score médiocre et donnant l'impression d'être focalisés sur leurs divisions internes, les écologistes peinent à susciter l'envie.
La faible attention autour de cette primaire s'explique également par la rapidité avec laquelle elle a été montée, ne permettant pas aux candidats de mener une campagne au long cours. De fait, la mise en place d'une telle élection a donné lieu à de fortes hésitations au sein d'EELV. Dans un premier temps, elles ont porté sur la stratégie politique à suivre : les écologistes devaient-ils se présenter indépendamment ou s'inscrire dans une primaire de toute la gauche ? Puis, étant décidé qu'ils partiraient seuls, devaient-ils organiser une primaire ou pouvaient-ils désigner un candidat de consensus sans passer par une telle élection ? Une fois le principe de la primaire actée, les interrogations ont porté sur les modalités concrètes du vote : vote par correspondance ou par internet, conditions à remplir pour être candidat et pour être électeur, etc.
Finalement, ce sont un peu plus de 17 000 électeurs (17 094 personnes exactement) qui pourront départager les quatre candidats de la primaire de l'écologie en envoyant leur bulletin de vote par voie postale. Le corps électoral se compose à la fois des adhérents et coopérateurs* du parti à jour de cotisation (environ 7 000 personnes) et de tous les résidents en France de plus de 16 ans qui ont fait la démarche de s'inscrire sur primaire-ecologie.fr en déboursant 5 euros pour les frais d'organisation (environ 10 000 personnes). Ces modalités sont proches de celles mises en place en 2011 pour la primaire qui avait désigné Eva Joly. Le nombre de participants était néanmoins deux fois plus important alors (environ 33 000 électeurs dont un peu plus de 14 000 adhérents à EELV).
Un parti en difficulté à l'orée d'une élection qui lui est historiquement défavorable
L'élection présidentielle reste une élection difficile pour les écologistes, qui y réalisent historiquement de médiocres performances. Le meilleur score à la présidentielle a été réalisé par Noël Mamère en 2002 (5,25%). En 2012, Eva Joly n'avait recueilli que 2,31 % des voix. La candidature écologiste à la présidentielle est généralement perçue comme une candidature " de témoignage ", visant davantage à porter une voix écologiste dans la campagne qu'à décrocher la victoire finale.
Le risque d'une candidature de simple témoignage est d'autant plus élevé que les écologistes se trouvent actuellement dans une période très difficile, le quinquennat de François Hollande les ayant mis à rude épreuve. Après avoir accepté un accord électoral en 2011 avec le PS, ils ont obtenu, pour la première fois, un nombre de députés suffisant pour former un groupe à l'Assemblée nationale, et sont entrés au gouvernement (Cécile Duflot en tant que ministre du logement et de l'égalité des territoires et Pascal Canfin en tant que ministre délégué au développement). Néanmoins, à quelques mois de l'élection présidentielle, le bilan de ce qui aurait dû être un quinquennat faste pour les écologistes est nettement moins étincelant.
Constatant des divisions parfois profondes avec la ligne de François Hollande et le non-respect de certaines promesses de l'accord électoral, le parti s'est divisé sur la question de la participation au gouvernement. Cécile Duflot et de Pascal Canfin ont décidé de quitter le gouvernement après la nomination de Manuel Valls au poste de Premier ministre, en mars 2014, ouvrant une crise profonde en interne. Certains membres d'EELV favorables à la participation au gouvernement feront sécession ou décideront, quelques mois plus tard, de rejoindre l'équipe de Manuel Valls, au premier rang desquels la secrétaire générale du parti, Emmanuelle Cosse. Ces dissidents sont désormais rassemblés au sein du " parti écologiste " (ex " Ecologistes ! "), qui participera à la primaire de la gauche organisée par le PS. Cette scission a privé EELV de son groupe parlementaire à l'Assemblée nationale.
Outre cette importante défection de ses cadres, les résultats électoraux du parti se sont révélés assez décevants depuis 2012, les écologistes pâtissant du recul général de la gauche, malgré quelques succès comme la victoire à la mairie de Grenoble en 2014. La perte de voix par rapport à la période 2009-2011 - certes l'étiage le plus haut des écologistes - est forte, et le nombre de militants a baissé en conséquence.
Enfin, depuis 2012 et le faible score d'Eva Joly à la présidentielle, le parti fait face à des difficultés financières structurelles qui l'ont notamment obligé à se séparer de son siège parisien.
Une campagne à bas bruit pour une élection aux multiples inconnues
Dans ce contexte, la primaire écologiste passe assez inaperçue dans une pré-campagne présidentielle dominée, d'un côté, par la primaire de la droite et du centre et, de l'autre, par les questionnements autour du candidat le mieux à même de rassembler la gauche - course dans laquelle les écologistes ne semblent pas avoir leur place, plafonnant au mieux à 4,5 % des intentions de vote selon le pour l'élection présidentielle (dans l'hypothèse d'une candidature de Cécile Duflot face à François Hollande, sans présence d'Emmanuel Macron).
L'espace politique des écologistes apparaît aujourd'hui comme réduit, pour plusieurs raisons. D'une part, les thématiques principales de la campagne à l'heure actuelle (terrorisme, laïcité...) ne leur sont pas favorables, car elles ne sont pas celles où ils apparaissent comme les plus crédibles, et la question environnementale est pratiquement absente du débat public. D'autre part, ils subissent la concurrence de Jean-Luc Mélenchon, qui apparaît aujourd'hui comme le mieux placé pour rassembler le vote protestataire de gauche (10 % à 13 % d'intentions de vote à l'élection présidentielle selon les hypothèses). Enfin, l'image d'EELV a été abîmée par les divisions du parti : aujourd'hui, seul un Français sur trois (33 %) déclare avoir une bonne image du parti alors qu'ils étaient près d'un sur deux avant la présidentielle de 2012 (et jusqu'à 67 % au moment des européennes de 2009 selon le baromètre politique Kantar Sofres ).
A cela s'ajoute une crise du leadership, et l'issue de la bataille entre les quatre candidats à la primaire est loin d'être connue d'avance. Dans cette primaire, rien n'est joué, les préférences du corps électoral étant aujourd'hui très difficiles à appréhender. Rappelons qu'en 2011, les électeurs avaient largement désigné Eva Joly face au très médiatique Nicolas Hulot qui faisait, pour beaucoup, figure de favori. L'ancienne juge d'instruction avait frôlé la majorité absolue au premier tour avec 49,74 % des voix et s'était imposé au second avec 58,16 %.
En dépit de cette issue ouverte, la campagne de la primaire reste mesurée. Les grands tenants du programme écologiste sont partagés par les quatre candidats (transition écologique avec sortie du nucléaire, valorisation des circuits courts, réforme institutionnelle mettant fin à la Cinquième République, mise en place d'un revenu de base...) et les candidats n'hésitent pas à faire des sorties en commun (notamment à Notre-Dame des Landes), à tel point que beaucoup de commentateurs s'interrogent sur les véritables différences entre les candidats et que le premier débat, très serein, a pu amener à qualifier cette élection de .
Cette faible distance idéologique entre les candidats renforce le caractère incertain de la primaire et nourrit la thèse que le choix s'effectuera plus sur les personnalités que sur les idées. Rien n'est moins sûr cependant dans un parti où la personnalisation de la politique reste mal perçue. En outre, si les différences entre les candidats sont modérées, elles existent et on peut supposer que les votants, dont le faible nombre laisse supposer un fort engagement, peuvent, pour beaucoup, les percevoir assez distinctement.
Cécile Duflot favorite menacée
De par son envergure nationale, Cécile Duflot est la favorite désignée de cette élection, mais sa victoire n'est pas acquise. Ancienne secrétaire générale du parti, un de ses atouts majeurs est sa large notoriété (seuls 12 % des Français déclarent ne pas le connaître dans le ), notamment consolidée par son passage au gouvernement (24 % ne la connaissaient pas en avril 2012). Mais connue ne signifie pas populaire. L'image que les Français se font de la députée de Paris est même plutôt sévère : 51 % d'entre eux en ont une mauvaise opinion, et seuls 37 % une bonne (dont 49 % des sympathisants de gauche). Seuls 12 % des Français souhaitent qu'elle joue un rôle important dans les mois et années à venir, ce qui constitue d'ailleurs son plus mauvais score depuis qu'elle est testée dans le (avril 2010). La cote d'avenir de l'ancienne ministre du logement est en baisse constante depuis son entrée au gouvernement en 2012.
Si l'on se restreint aux sympathisants de gauche, seuls 20 % partagent le souhait que Cécile Duflot joue un rôle plus important à l'avenir, ce qui la place nettement derrière d'autres figures de la gauche (41 % des sympathisants de gauche le souhaitent pour Jean-Luc Mélenchon et Martine Aubry, 39 % pour Ségolène Royal), derrière également Emmanuel Macron (28 %) et Alain Juppé (35%), mais à un niveau pas si éloigné de celui d'Arnaud Montebourg (24%) et à peu près équivalent à celui de Benoît Hamon (17 %).
Au-delà de cette faible popularité auprès des Français et des sympathisants de gauche, Cécile Duflot ne semble pas non plus faire l'unanimité auprès des militants écologistes. Lors de cette primaire, elle pourrait être tenue responsable des déboires qu'a connus le parti ces dernières années. Ses adversaires n'hésitent pas à pointer une dérive politicienne d'EELV, soit le sentiment qu'aurait donné le parti d'être davantage centré sur des stratégies pour obtenir des strapontins que pour défendre l'écologie. Et ils accusent plus ou moins ouvertement Cécile Duflot d'en être à l'origine. Le risque d'un " front anti-Duflot " au second tour n'est, par conséquent, pas à écarter. Malgré un positionnement relativement central idéologiquement au sein du parti, Cécile Duflot pourrait donc voir s'unir contre elle la gauche d'EELV (incarnée par Karima Delli, très critique sur le choix de constituer une alliance avec le PS en 2011) et sa droite (Yannick Jadot), qui se retrouveraient pour soutenir le renouvellement de l'élite du parti.
Ce front pourrait profiter au seul homme candidat à cette primaire, Yannick Jadot, qui semble aujourd'hui le plus susceptible de concurrencer Cécile Duflot. Nettement moins connu que l'ancienne secrétaire générale, il s'appuie sur son expérience de militantisme associatif, notamment en tant que directeur des campagnes de Greenpeace, pour se présenter comme le rassembleur de l'écologie politique. Étiqueté à la droite du parti, cet eurodéputé porte une candidature centrée sur les enjeux environnementaux. Les questions sociales sont moins mises en avant par ce candidat que par Cécile Duflot, qui fait du passage aux 32 heures un axe central de son programme, ou par Karima Delli, qui prône une " écologie populaire ".
Troisième participante à la primaire, Michèle Rivasi, eurodéputée, développe également un discours mettant principalement en avant les questions environnementales. Elle aussi dispose d'une proximité avec le milieu associatif (elle fut la directrice de Greenpeace et a créé des associations anti-nucléaires après Tchernobyl), tout en ayant été députée de la gauche plurielle entre 1997 et 2002. Son ancrage territorial est souvent présenté comme l'un de ses principaux atouts. Elle pourrait ainsi rassembler de nombreuses voix dans le Sud-Est, qui fournit un important contingent de votants du fait de son poids démographique et de la prévalence du vote écologiste dans cette partie de la France.
La dernière candidate, Karima Delli, est la représentante de la gauche du parti. Membre du collectif jeudi noir, eurodéputée de la région Nord après avoir été élus en Ile-de-France, la plus jeune des concurrentes (37 ans) souhaite convaincre les classes populaires de la pertinence des solutions de l'écologie politique, avec un programme social étoffé (elle prône notamment la mise en place d'un revenu de base à plus de 1000€ mensuels).
Un deuxième tour pourrait s'avérer nécessaire pour départager ces quatre candidats. Celui-ci aurait alors lieu début novembre, avec un dépouillement et une annonce des résultats le 7. Mais il n'est pas non plus exclu que l'identité du candidat EELV à la présidentielle soit connue dès la publication des résultats du premier tour, le 19 octobre. Le candidat ou la candidate écologiste aura ensuite six mois pour tenter de s'imposer dans une campagne présidentielle qui s'annonce ardue pour la gauche.
* Lors de la création d'EELV en 2011, une coopérative a été mise en parallèle du parti pour accueillir ses " compagnons de route ". Associés à la démarche militante, ils ne participent pas à la " vie interne " du parti (et ne votent pas lors des Congrès) et paient une cotisation réduite.[retour]