Un texte de Nafy-Nathalie et h16
Au cours des semaines passées, nous avons abordé plusieurs aspects du vaste sujet immobilier en France, ce qui nous a permis de découvrir toute l’ampleur des dégâts que le choc de simplification aura générés. Il aurait été dommage de conclure cette série sans faire un bilan de la bombe-mère à l’origine de ce choc, la loi ALUR.
Et en fait de loi, ALUR devait véritablement révolutionner l’immobilier français.
Tenez, prenez, par exemple, le « contrat-type » des syndics. Entré en vigueur en juillet 2015, il fut aussitôt l’objet d’attaques virulentes de la part des professionnels (UNIS, FNAIM, PLURIENCE) ainsi que des consommateurs (CLCV) pour différents motifs ; citons simplement le Figaro du 12 octobre dernier qui constate, platement, que « le contrat-type des syndics connaît encore des ratés ». En effet, son décret d’application du 26 mars 2015 (qui fixe les modalités des facturations des frais particuliers) vient d’être partiellement annulé par le conseil d’Etat le 5 octobre dernier. Oh zut.
Enfin, « oh zut », il faut le dire vite. Les professionnels avaient rapidement fait leurs comptes et ils n’étaient pas bons :
« Le contrat type de syndic était un texte phare qui tendait à harmoniser la forme des contrats pour mieux les comparer, mais aussi et surtout qui administrait les tarifs de prestations contractuelles au risque de figer celles-ci, et de les rendre rapidement inadaptées aux besoins des consommateurs. (…) Déjà de nouvelles prestations non prises en compte dans ce décret apparaissent et ne sont pas traitées. S’il fallait un exemple de la rigidité contractuelle à laquelle conduisent les excès de réglementation, nous en avons un exemple. »
Le gouvernement n’a donc pas hésité à publier un décret d’application de la loi ALUR rendu obsolète par cette même loi et ses autres décrets d’application. C’est du grand art.
Au passage, les professionnels ne peuvent s’empêcher de regretter que les avis émis par le CNTGI, cet organisme de consultation justement mis en place par ALUR, n’aient pas été suivis pour cornaquer la réforme. Il est effectivement dommage de ne pas avoir tenu compte de l’opinion d’un organisme inventé de toute pièce par le gouvernement, financé de manière indirecte par une imposition sur les particuliers et dont l’avis est imposé par la loi ALUR sans qu’il soit obligatoire de le suivre.
Bref, quel que soit le bout par lequel on prend ce fichu contrat-type, ça ressemble bel et bien à un gros échec des familles. Nous attendons donc avec gourmandise le prochain décret d’application qui devrait fixer le plafond des frais de recouvrement des charges et les honoraires d’état daté, en pariant sur des effets de bords rigolos qui viendront inévitablement le remettre en cause.
Cet exemple récent pourrait se classer dans la catégorie « Pas De Bol », élevée avec brio au rang de méthode par un président en fin de mandat. Ce serait une erreur : s’il s’agit d’un ratage, ce n’est pas une question de malchance mais bien la suite logique d’un processus minutieusement construit pour aboutir à une déroute complète.
En effet, dès le début, la loi Duflot a posé problèmes (le pluriel est de rigueur ici).
Dès 2013, dans une tribune de Challenges, le Président de Nexity la qualifiait de « non sens économique ». En 2014, Le Point n’hésitait pas à calembourrer grassement dans une titraille évocatrice : « Logement : la loi ALUR n’a plus fière allure ! La loi Duflot a paralysé le marché de l’immobilier neuf. Elle a abouti à l’opposé de ses objectifs. Le gouvernement semble résigné à la supprimer. » L’Humanité, avec une sobriété qui rappelle les famines soviétiques, se contentait de titrer sur « Le plan Valls, entreprise de démolition de la loi ALUR ».
Les pénibleries législative de la petite Cécile au parlement semblaient donc destinées à une mort prématurée qui aurait satisfait beaucoup.
Las. Il n’en fut rien.
Remaniée par Sylvia Pinel, ministre du Logement de l’époque, elle fut finalement promulguée le 26 mars 2014 avec pour objectif de « réguler les dysfonctionnements du marché, protéger les propriétaires et les locataires, et permettre l’accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires ». Les débats dans les deux chambres qui l’accompagnèrent furent houleux, certains n’hésitant pas – comme David Douillet – à déclarer que cette loi revenait à la nationalisation du secteur de l’immobilier. Après coup, l’exagération du moment ne semble plus aussi outrancière.
Et bien que censée réformer en profondeur le droit au logement français, cette loi aura finalement accumulé depuis son début tous les cafouillages, ratages et tentatives de rattrapages possibles, avec cette stupéfiante volonté de s’accrocher malgré tout qu’on ne retrouve guère que chez les tiques et les politiciens. Au final, chacune de ses dispositions les plus marquantes est soit rabotée, soit annulée, soit complètement vidée de sens.
Ainsi, avec ALUR, le gouvernement voulait simplifier l’accès au logement. Les aventures de la GLI, devenue GRL, puis GRL2, puis GUL puis VISALE, narrées la semaine passée, illustrent bien la déroute : avec 4000 dossiers finalisés, on est loin des 300000 escomptés et du succès d’une mesure permettant un accès au logement révolutionné. Zut encore !
Via ALUR, le gouvernement voulait limiter la hausse des prix de l’immobilier. Il a donc décidé de gentiment les encadrer et nous a immédiatement plongés dans une aventure trépidante où les méchants (capitalistes, propriétaires et contribuables) finissent toujours par payer à la fin.
Dans cette aventure, le Conseil d’analyse économique (CAE), instance consultative attachée au service du Premier ministre, déclarera d’ailleurs que « l’encadrement des loyers tel qu’il est conçu dans le projet de loi sur le logement et l’urbanisme (ALUR) est inopérant et peu efficace », pendant que le Conseil Constitutionnel la videra de substance, et en profitera pour indiquer que ce décret porte une « atteinte disproportionnée aux conditions d’exercice du droit de propriété et à la liberté contractuelle ; qu’elles méconnaîtraient également l’égalité des parties dans les relations contractuelles. »
Pour un gouvernement censé protéger nos droits les plus fondamentaux, cette loi et les décisions qui l’entourent ne laissent pas d’étonner. Étonnement qui n’ira quand même pas jusqu’à la remise en question : ce plafonnement des loyers, mesure évidemment inutile en période de baisse des prix, inapplicable sans la mise en place des observatoires, fut d’abord annoncé comme abandonné, puis raboté discrètement en le limitant à Paris (à titre expérimental) puis dernièrement étendu à l’Île-de-France, sans doute afin de repousser encore un peu ces investisseurs qui font cruellement défaut dans la capitale. Zut derechef ?
Attendez. Ce n’est pas tout.
Par le truchement d’ALUR, le gouvernement voulait aussi limiter les honoraires d’agences immobilières. Il les a donc plafonnés avec toute l’efficacité que l’on lui connaît ce qui aura abouti à diminuer les émoluments perçus par les professionnels d’un côté tout en les augmentant de l’autre… (oh zut à nouveau !), avec à la clef l’opportunité de facturer des prestations supplémentaires que le gouvernement a créées. Oh, zut au carré ! C’est ballot, et d’autant plus regrettable que l’on a vu fleurir des dispositifs comme Multiloc à Paris, qui aboutissent à faire financer les logements privés par les contribuables.
Vous croyez en avoir fini ? Que nenni.
Avec ALUR, le gouvernement prétendait vouloir éduquer le copropriétaire à la planification des travaux d’entretien. Il a donc mis en place le fond travaux, qui réussit le tour de force de refinancer les banques, remplir les caisses du gouvernement tout en redonnant quelques couleurs au secteur du bâtiment qui en avait bien besoin, le tout sous couvert de bonne gestion qui permet d’éviter les protestations. Malheureusement, c’est aussi une machine inextricable et inapplicable en l’état.
ALUR, c’est aussi la protection de l’acquéreur d’un bien en copropriété. Le gouvernement a donc choisi de multiplier les obligations afférentes au point de paralyser la réalisation des avant-contrats, ce qui l’a obligé à faire paraître une ordonnance pour les alléger. Et zut au cube, encore un loupé magistral.
La liste pourrait s’étoffer, mais point n’est besoin puisqu’en résumé, toute la loi ALUR, quand elle n’a pas engoncé dans des lois mal écrites des pratiques déjà actées par la jurisprudence, a introduit des dispositifs monstrueux qui ont catastrophiquement compliqué les choses quand ils étaient applicables, le tout pour un coût très élevé pour ce particulier qu’on a donc protégé à violents coups de Dalloz de plus en plus épais.
L’échec est patent, total et profond. Pour Duflot, cependant, « Ne soyons pas dupes, il s’agit d’une opération qui consiste à attaquer une des véritables lois de gauche de ce mandat. »
Ah, pour une loi de gauche, c’est bien une loi de gauche ! Depuis l’idée consternante (qui porte atteinte directe au droit de propriété), en passant par son parcours institutionnel chaotique, jusqu’aux décrets d’application illisibles et aux résultats presque parfaitement contraire à ceux attendus, tout indique effectivement une belle loi socialiste.
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