Prenons les choses une à une pour ce qu’elles sont et telles qu’elles se présentent. Le spectacle, bien sûr, et cette manière incroyable dans une variation d’intensités lumineuses noires (il en existe donc autant ?), dans un silence absolu, cette manière incroyable avec cette pesanteur du corps de l’acteur d’où s’arrachent des sons, traces du terrifiant roman familial de Georg Trakl entre Rêve et folie, au soir et « dans une mer de ténèbres » pour reprendre l’expression de Maeterlinck, au moment où « le père devint vieillard », avec le visage de la mère qui se « pétrifie », avec l’obsession de la « forme mince de la sœur » et de l’inceste consommé, au milieu de la nuit qui « engloutit la race maudite »… C’est, si l’on veut jouer sur les mots, d’une clarté aveuglante ! Plus que jamais dans la mesure où le bel espace signé comme toujours par Sallahdyn Kathir, une sorte de cave voûtée à l’intérieur de laquelle l’éclairage délimite précisément un autre espace, celui de l’évolution du comédien, et que se crée avec les spectateurs une relation presque intime.
Ici, « les mots servent à libérer une matière silencieuse qui est bien plus vaste que les mots ». La citation est de Nathalie Sarraute que Régy, dans son ouvrage, fait volontiers sienne, comme il fait sienne nombre d’autres paroles et pensées d’auteurs qui l’ont toujours accompagné et l’ont nourri, Maeterlinck, Nietzsche, Genet, Duras… et Trakl donc.
Jean-Pierre Han
Rêve et folie de Georg Trakl. Mise en scène de Claude Régy. Festival d'automne. Spectacle en tournée.