Brian Wilson, éminent leader des Beach Boys, posera ses valises dans l’acoustique irréprochable de la Salle Pleyel à Paris le 30 octobre prochain. L’une des dernières icônes vivante de la pop mériterait les honneurs. Mais finalement, est-ce vraiment un concert incontournable ? Pas sûr. Explications.
Brian Wilson à la salle Pleyel, 100€ de plaisir ?
Sur le papier, l’affiche d’un Brian Wilson venant jouer son chef d’oeuvre Pet Sounds à la salle Pleyel a de quoi susciter les plus vifs intérêts. C’est d’ailleurs ce que cela a provoqué chez moi en voyant l’annonce du concert. Voir Brian Wilson en chair et en os avant sa mort, dans une salle de renom à l’acoustique irréprochable, oui, ça doit bien valoir les 100€ de plaisir. Une chose unique à faire au moins une fois dans sa vie. D’autant qu’il est précisé que ce sera la dernière tournée pour célébrer Pet Sounds. Et puis l’acoustique de la Salle Pleyel, c’est autre chose que le Primavera… (ce qui ne gâche en rien la qualité de ce festival !)
« Je parviens à mieux comprendre ses complexités, ses arrangements »
La promo nous indique que c’est Brian Wilson, accompagné de Al Jardine et Blondie Chaplin. Donc une partie originelle des Beach Boys (pour Al Jardine)… Rappelons tout de même que Pet Sounds est avant tout un album de Brian Wilson, enregistré seul pendant que le groupe était en tournée. Wilson cherche à casser l’image de groupe pop aimant le surf et les filles, et surtout veut prouver qu’il peut faire mieux que Rubber Soul des Beatles. (Mc Cartney avouant plus tard qu’il s’est inspiré de Pet Sounds pour écrire Sergent Pepper ! Quelle belle époque, avouons-le !).
Mais l’album est très complexe pour l’époque, avec des harmonies très travaillées, des instruments nouveaux, des atmosphères déroutantes, des structures inattendues, y compris pour les autres Beach Boys. Al Jardine a d’ailleurs reconnu que lui-même a mieux considéré l’album au fil des années qu’à sa sortie : « Je parviens à mieux comprendre ses complexités, ses arrangements« . Si Pet Sounds est considéré comme l’un des plus grands albums pop de tous les temps depuis 60 ans, ce n’est sans doute pas pour rien.
La magie du marketing
Mais faut-il vraiment se réjouir de cette fausse bonne nouvelle que ce concert hommage ? Regardons un peu en arrière…La rivalité entre Brian Wilson et Al Jardine ne date pas d’hier. Dès le début du groupe, Al Jardine se fit gentiment dégager avant de réintégrer le groupe… à la demande de Wilson himself. Et puis les années passent. Wilson traverse des phases de tous les excès : drogues sous toutes leurs formes, des exigences qui révèlent sa folie (il fait enregistrer des musiciens avec des casques de pompier, brûlant un morceau de bois pour bien conditionner les musiciens au rendu qu’il a en tête), sévères dépressions et autre schizophrénie… Wilson, devenu obèse, tente de finir son autre chef-d’oeuvre, l’album Smile qu’il débutera en 66 pour le finir en… 2004 ! Dans les années 80, Il se fait suivre par un psy franchement véreux, Eugene Landy, qui réussit à stopper l’addiction de Wilson aux drogues, mais qui va paradoxalement lui créer une autre dépendance… à lui-même. Au point que Landy se fasse créditer sur de nombreuses chansons, se jugeant indispensable à la santé de Wilson. Ces manipulations vaudront un procès de la famille Wilson dans les années 90.
Wilson et Jardine ne se sont plus adressé la parole depuis des années. Et la magie des producteurs avides de tournées « tiroir-caisse » couplée à la cupidité de nos deux lascars permet alors une réunion des deux compères par la belle magie du marketing. Les Pixies ou Stone Roses (et bientôt Oasis ?) savent bien à quoi je fais référence.
Dromadaire vieillissant
S’il ne s’agissait que de ça, ce ne serait sans doute pas une raison suffisante pour décliner une telle opportunité. Je m’intéresse alors de plus près à la formation prévue pour célébrer ces 50 ans de Pet Sounds et à ses récents concerts. Et c’est là que le spectacle tourne au vinaigre. Les vidéos disponibles permettent de voir la formation en concert dans différents pays entre 2015 et 2016. Quel spectacle affligeant ! « Attends attends, le mec qui poste un billet sur Pet Sounds en live juge la prestation en regardant des vidéos sur Youtube ? C’est ça le spectacle affligeant ! » dois-tu te dire en lisant ces lignes. Et ce serait légitime.
Mais remettons les choses dans leur contexte. L’ami Wilson, devenu sosie officiel de feu Roger Hanin et sponsorisé par « Colgate dents blanches » est cloué derrière son piano, presque inamovible, si ce n’est par ses mouvements labiaux tel un dromadaire vieillissant. Mais je ne juge pas le physique d’un des plus respectables songwriters et arrangeurs de la pop musique qui affiche, non sans quelques complexes, ses 74 ans. La voix qui a forgé le son des Beach Boys et donné une identité musicale à la Californie des années 60 a définitivement disparu. Outre les montées poussives dans les aigüs, c’est surtout le manque de justesse que même l’autotune ne peut plus corriger qui gratte franchement l’oreille. Voici un exemple révélateur : sur Sloop John B, Al Jardine s’en sort franchement bien, mais quand Brian se met à God Only Knows, c’est vraiment la catastrophe.
J’accepterais si mon grand-père faisait une telle prestation, mais pas Brian Wilson. De là à préférer cette ignoble, infâme et immonde version façon « Les Enfoirés », quand même pas. (Le pompon revient quand même à Dave Grohl à 2’25, avec son poing serré. Un grand moment d’infâmie !)
Bref, Brian Wilson tient à peu près la note en studio quand il ne fait que des backing vocals… et encore… franchement ça pique sévère, contrairement à Matt Jardine, fils de Al au chant.
Esthète pop, arrangeur de génie… et laxisme musical
Comment un tel esthète pop et arrangeur de génie qui a toujours outrepassé son handicap auditif (il est sourd d’une oreille) peut-il se laisser à tant de laxisme musical ? Qu’il n’en soit plus capable, je le comprends aisément. Qu’il daigne se produire sans scrupule pour attirer le chaland, là ça me dérange. Ses excès en tout genre du passé semblent lui avoir fait oublier ce qu’il est devenu aujourd’hui : une icône que l’on préfère sans doute voir figée dans le temps qui lui a valu sa reconnaissance mondiale. On pleurera légitimement sa mort quand elle arrivera, célébrant toujours et encore son apport considérable à la pop musique pour fêter le Pet Sounds de 66.
Mais pour ce qui est de la prestation live, on préfère plutôt y voir un groupe hommage, par exemple avec des réorchestrations comme le Color Bars Experience a pu le faire pour Elliott Smith. Pas de bol, ils bossent sur un hommage à Nick Drake actuellement.
Et à défaut, le web regorge de liens passionnants sur le sujet, notamment la brillante série « Behind the Sounds » (qui a d’ailleurs servi au très réussi biopic Love And Mercy).
Voilà une approche captivante qui décortique God Only Knows et permet d’entendre des détails, par exemples les notes de Satisfaction à la fin sur les notes de piano.
Ou encore au making of de Would’nt It Be Nice :
Ou à la prise avec George Martin et Brian Wilson en studio :
Pour ceux qui tentent leur chance à la salle Pleyel, cela n’enlève rien au plaisir d’écouter les parties musicales dans un contexte inédit. En tous cas on l’espère.
Par Jérémie – Elevé dans les 90′s avec sa première cassette : 1 face Beatles, 1 face Rolling Stones. Avant de racheter 25 francs une cassette des Beach Boys à son frère aîné ! Rédigé entre août et octobre 2016, après des heures et des heures de recherches, de lectures, de visionnages, discussions diverses pour pondre cet article.
Ecoutes du moment : EZTV, Ultimate Painting, Hookspine, Allah-Las, Drugdealer
Pour suivre les news de rock indé, suivez Merseyside sur les réseaux sociaux :
Brian Wilson, éminent leader des Beach Boys, posera ses valises dans l’acoustique irréprochable de la Salle Pleyel à Paris le 30 octobre prochain. L’une des dernières icônes vivante de la pop mériterait les honneurs. Mais finalement, est-ce vraiment un concert incontournable ? Pas sûr. Explications.
Brian Wilson à la salle Pleyel, 100€ de plaisir ?
Sur le papier, l’affiche d’un Brian Wilson venant jouer son chef d’oeuvre Pet Sounds à la salle Pleyel a de quoi susciter les plus vifs intérêts. C’est d’ailleurs ce que cela a provoqué chez moi en voyant l’annonce du concert. Voir Brian Wilson en chair et en os avant sa mort, dans une salle de renom à l’acoustique irréprochable, oui, ça doit bien valoir les 100€ de plaisir. Une chose unique à faire au moins une fois dans sa vie. D’autant qu’il est précisé que ce sera la dernière tournée pour célébrer Pet Sounds. Et puis l’acoustique de la Salle Pleyel, c’est autre chose que le Primavera… (ce qui ne gâche en rien la qualité de ce festival !)
« Je parviens à mieux comprendre ses complexités, ses arrangements »
La promo nous indique que c’est Brian Wilson, accompagné de Al Jardine et Blondie Chaplin. Donc une partie originelle des Beach Boys (pour Al Jardine)… Rappelons tout de même que Pet Sounds est avant tout un album de Brian Wilson, enregistré seul pendant que le groupe était en tournée. Wilson cherche à casser l’image de groupe pop aimant le surf et les filles, et surtout veut prouver qu’il peut faire mieux que Rubber Soul des Beatles. (Mc Cartney avouant plus tard qu’il s’est inspiré de Pet Sounds pour écrire Sergent Pepper ! Quelle belle époque, avouons-le !).
Mais l’album est très complexe pour l’époque, avec des harmonies très travaillées, des instruments nouveaux, des atmosphères déroutantes, des structures inattendues, y compris pour les autres Beach Boys. Al Jardine a d’ailleurs reconnu que lui-même a mieux considéré l’album au fil des années qu’à sa sortie : « Je parviens à mieux comprendre ses complexités, ses arrangements« . Si Pet Sounds est considéré comme l’un des plus grands albums pop de tous les temps depuis 60 ans, ce n’est sans doute pas pour rien.
La magie du marketing
Mais faut-il vraiment se réjouir de cette fausse bonne nouvelle que ce concert hommage ? Regardons un peu en arrière…La rivalité entre Brian Wilson et Al Jardine ne date pas d’hier. Dès le début du groupe, Al Jardine se fit gentiment dégager avant de réintégrer le groupe… à la demande de Wilson himself. Et puis les années passent. Wilson traverse des phases de tous les excès : drogues sous toutes leurs formes, des exigences qui révèlent sa folie (il fait enregistrer des musiciens avec des casques de pompier, brûlant un morceau de bois pour bien conditionner les musiciens au rendu qu’il a en tête), sévères dépressions et autre schizophrénie… Wilson, devenu obèse, tente de finir son autre chef-d’oeuvre, l’album Smile qu’il débutera en 66 pour le finir en… 2004 ! Dans les années 80, Il se fait suivre par un psy franchement véreux, Eugene Landy, qui réussit à stopper l’addiction de Wilson aux drogues, mais qui va paradoxalement lui créer une autre dépendance… à lui-même. Au point que Landy se fasse créditer sur de nombreuses chansons, se jugeant indispensable à la santé de Wilson. Ces manipulations vaudront un procès de la famille Wilson dans les années 90.
Wilson et Jardine ne se sont plus adressé la parole depuis des années. Et la magie des producteurs avides de tournées « tiroir-caisse » couplée à la cupidité de nos deux lascars permet alors une réunion des deux compères par la belle magie du marketing. Les Pixies ou Stone Roses (et bientôt Oasis ?) savent bien à quoi je fais référence.
Dromadaire vieillissant
S’il ne s’agissait que de ça, ce ne serait sans doute pas une raison suffisante pour décliner une telle opportunité. Je m’intéresse alors de plus près à la formation prévue pour célébrer ces 50 ans de Pet Sounds et à ses récents concerts. Et c’est là que le spectacle tourne au vinaigre. Les vidéos disponibles permettent de voir la formation en concert dans différents pays entre 2015 et 2016. Quel spectacle affligeant ! « Attends attends, le mec qui poste un billet sur Pet Sounds en live juge la prestation en regardant des vidéos sur Youtube ? C’est ça le spectacle affligeant ! » dois-tu te dire en lisant ces lignes. Et ce serait légitime.
Mais remettons les choses dans leur contexte. L’ami Wilson, devenu sosie officiel de feu Roger Hanin et sponsorisé par « Colgate dents blanches » est cloué derrière son piano, presque inamovible, si ce n’est par ses mouvements labiaux tel un dromadaire vieillissant. Mais je ne juge pas le physique d’un des plus respectables songwriters et arrangeurs de la pop musique qui affiche, non sans quelques complexes, ses 74 ans. La voix qui a forgé le son des Beach Boys et donné une identité musicale à la Californie des années 60 a définitivement disparu. Outre les montées poussives dans les aigüs, c’est surtout le manque de justesse que même l’autotune ne peut plus corriger qui gratte franchement l’oreille. Voici un exemple révélateur : sur Sloop John B, Al Jardine s’en sort franchement bien, mais quand Brian se met à God Only Knows, c’est vraiment la catastrophe.
J’accepterais si mon grand-père faisait une telle prestation, mais pas Brian Wilson. De là à préférer cette ignoble, infâme et immonde version façon « Les Enfoirés », quand même pas. (Le pompon revient quand même à Dave Grohl à 2’25, avec son poing serré. Un grand moment d’infâmie !)
Bref, Brian Wilson tient à peu près la note en studio quand il ne fait que des backing vocals… et encore… franchement ça pique sévère, contrairement à Matt Jardine, fils de Al au chant.
Esthète pop, arrangeur de génie… et laxisme musical
Comment un tel esthète pop et arrangeur de génie qui a toujours outrepassé son handicap auditif (il est sourd d’une oreille) peut-il se laisser à tant de laxisme musical ? Qu’il n’en soit plus capable, je le comprends aisément. Qu’il daigne se produire sans scrupule pour attirer le chaland, là ça me dérange. Ses excès en tout genre du passé semblent lui avoir fait oublier ce qu’il est devenu aujourd’hui : une icône que l’on préfère sans doute voir figée dans le temps qui lui a valu sa reconnaissance mondiale. On pleurera légitimement sa mort quand elle arrivera, célébrant toujours et encore son apport considérable à la pop musique pour fêter le Pet Sounds de 66.
Mais pour ce qui est de la prestation live, on préfère plutôt y voir un groupe hommage, par exemple avec des réorchestrations comme le Color Bars Experience a pu le faire pour Elliott Smith. Pas de bol, ils bossent sur un hommage à Nick Drake actuellement.
Et à défaut, le web regorge de liens passionnants sur le sujet, notamment la brillante série « Behind the Sounds » (qui a d’ailleurs servi au très réussi biopic Love And Mercy).
Voilà une approche captivante qui décortique God Only Knows et permet d’entendre des détails, par exemples les notes de Satisfaction à la fin sur les notes de piano.
Ou encore au making of de Would’nt It Be Nice :
Ou à la prise avec George Martin et Brian Wilson en studio :
Pour ceux qui tentent leur chance à la salle Pleyel, cela n’enlève rien au plaisir d’écouter les parties musicales dans un contexte inédit. En tous cas on l’espère.
Par Jérémie – Elevé dans les 90′s avec sa première cassette : 1 face Beatles, 1 face Rolling Stones. Avant de racheter 25 francs une cassette des Beach Boys à son frère aîné ! Rédigé entre août et octobre 2016, après des heures et des heures de recherches, de lectures, de visionnages, discussions diverses pour pondre cet article.
Ecoutes du moment : EZTV, Ultimate Painting, Hookspine, Allah-Las, Drugdealer
Pour suivre les news de rock indé, suivez Merseyside sur les réseaux sociaux :