Critique du Personnage désincarné, de Arnaud Denis, vu le 7 octobre 2016 au Théâtre de la Huchette
Avec Marcel Philippot, Audran Cattin, et Grégoire Bourbier, dans une mise en scène de Arnaud Denis
Étrange coïncidence de retrouver, à peine 1 semaine après, une pièce sur le même thème qu’Acting : une pièce sur l’acteur, son jeu, son rapport à l’auteur. Avec Le personnage désincarné, Arnaud Denis livre une pièce qui résonne encore en moi, que je n’ai probablement pas perçue dans ses plus fins recoins, et qui fait de l’ombre à la pièce de Xavier Durringer. Si les deux spectacles abordent les mêmes thèmes, l’un est actuellement joué dans une grande salle parisienne lorsque l’autre habite le Théâtre de la Huchette : ne vous trompez pas, l’une est superficielle, l’autre profonde.
Sujet délicat donc, d’autant plus que le théâtre dans le théâtre n’est pas ma tasse de thé : mais c’est fait ici avec une telle subtilité, une telle intelligence, que pas à un moment on ne pourrait reprocher à l’auteur de se diriger vers ce sujet. La rébellion d’un personnage face à son auteur, la peur de la cage dans laquelle il est enfermé et contraint d’évoluer, le désir de dépendance, de liberté, sont un canevas puissant pour cette pièce. L’habileté d’Arnaud Denis réside en un jeu constant sur le rapport des personnages, rapport de force instable et en permanente évolution.
On lui connaissait un jeu plus que convaincant, des mises en scène totalement réussies, une plume affutée après son Nuremberg il y a quelques années. Il délivre là une pièce aboutie qui mêle esprit, philosophie, adresse et passion. Que c’est bon aussi de retrouver sa patte dans sa mise en scène – et même un intermède musical en commun avec l’un de ses précédents spectacles ! Faire des spectateurs un personnage à part entière est une idée brillante et pertinemment utilisé.
La distribution suit cette excellence : je découvre en Audran Cattin un jeune acteur encore plein de l’insouciance de la jeunesse, parfois emporté par cet élan, mais toujours juste, touchant, mystérieux. Marcel Philippot est un auteur oscillant entre ange et démon, un bourreau au coeur sensible, un créateur retrouvé pris au piège. Enfin Grégoire Bourbier, émissaire indispensable, est un régisseur authentique et bienveillant.
Puisqu’il faut critiquer, je regretterais donc une « facilité » d’écriture : une légère tendance au pathos s’insinue au cours de la pièce, révélée par des conversations autour d’une relation père/fils tendue. Si on comprend qu’Arnaud Denis amène ainsi sa fin, si cela pousse encore le vice de l’incarnation de son personnage – qui est-il réellement ? – il y a dans cette scène d’émotion soudaine un manque de crédibilité de par la spontanéité de l’action. Je sens dans cette scène Marcel Philippot comme marchant sur un fil, trop fin, et tomber lorsque les larmes arrivent. Cette même sensation se produit plus tôt dans le spectacle, lorsque Audran Cattin délivre une belle tirade sur sa jeunesse : si elle m’a touché au coeur, je le sentais prêt à trébucher à la moindre fausse note. Cette légère tendance à vouloir nous tirer des larmes sera mon seul bémol du spectacle.
Un bel hommage au théâtre.♥ ♥ ♥