Je ne connaissais pas le Prix Fondation Martine Aublet - il n'existe, il est vrai, que depuis 2012, lis-je dans Livres Hebdo, et il couvre un domaine qui m'est moins familier que la fiction: l'ethnographie, l'ethnologie, l'anthropologie et l'histoire de l’art des civilisations non-occidentales. Ce sont des terrains qui ne manquent pourtant pas de points d'intersection avec la littérature, et en voici un avec le lauréat de cette année: Philippe Paquet, pour Simon Leys, navigateur entre les mondes. Une biographie magistrale (bien que d'un auteur belge sur un autre auteur belge), sur laquelle j'avais écrit cet article au moment de sa parution, c'était le printemps en Europe.
Pour écrire une vie de Simon Leys, il fallait connaître
l’homme, né Pierre Ryckmans, son œuvre, et bien sûr la Chine. Avec Philippe
Paquet, on est rassuré : l’auteur de Madame
Chiang Kai-shek, ouvrage préfacé par Simon Leys, a entretenu avec celui-ci
des contacts suivis et approfondis, nourris en particulier d’une familiarité
commune avec la Chine. « Chine intérieure », surtout, pour Simon
Leys, puisqu’il n’a cessé d’étudier une culture à laquelle il n’avait guère
d’accès direct : trois séjours seulement, plutôt brefs. Un mois en 1955, à
vingt ans. Six mois en 1972 comme attaché culturel à l’ambassade de Belgique.
Et un mois l’année suivante, pour la dernière fois.
Il est vrai que, depuis 1971 et la naissance de Simon Leys,
pseudonyme choisi pour signer Les habits
neufs du président Mao, Pierre Ryckmans n’était pas le bienvenu en Chine
populaire. Même quand l’aura de Mao s’affaiblira, celui qui, ayant dénoncé le
système autoritaire et criminel du Grand Timonier, restera honni pour avoir eu
raison trop tôt. Sulfureux Simon Leys…
Ne revenons pas sur les épisodes les mieux connus, en
Europe, de sa biographie. Philippe Paquet éclaire celle-ci en insistant sur les
qualités d’un chercheur lucide puisant aux meilleures sources – toutes
accessibles, mais négligée par la plupart des spécialistes. Pour lui, au
contraire de beaucoup, « sinologie » ne rimait pas avec
« assyriologie » et moins encore avec « entomologie ». La
littérature et la pensée chinoises, dont il fut un traducteur attentif, l’ont
occupé comme une matière vivante. Sur l’abondance et la qualité de ces travaux,
il était difficile d’être plus complet.
L’installation de Simon Leys en Australie, à partir de 1970,
est aussi considérée d’un œil neuf. Comment notre compatriote devint une
éminente personnalité de son pays d’adoption, voilà un aspect dont nous
n’avions qu’une vague conscience. Il est ici éclairé par des témoignages
multiples. Les témoignages abondent d’ailleurs pour toutes les époques d’une
vie bien remplie, où la mer et la littérature ainsi que la foi ont été les axes
sur lesquels s’est développée une œuvre devant laquelle on était déjà admiratif
– et l’admiration s’est accrue encore à la lecture de ce Simon Leys, navigateur entre les mondes.
Il se méfiait des biographies. Celle-ci, dont il a lu le manuscrit avant
de mourir le 11 août 2014, a dû malgré tout le combler autant qu’elle nous a
passionné.