Agressions de Viry-Châtillon : tout va bien, les affaires continuent.

Publié le 10 octobre 2016 par H16

Vous savez, en France, malgré tout, tout est simple : vous travaillez, vous commercez gentiment, vous payez vos impôts et en échange, l’État fait régner la loi et l’ordre et tout va bien. C’est sur ce principe simple que repose le consentement à l’impôt, et c’est sur l’assurance d’un minimum d’ordre et de règles que la société arrive à fonctionner. Enfin, en principe.

Parce qu’en réalité, c’est nettement moins simple.

Par exemple, il serait inconcevable qu’en l’échange des douzaines et des douzaines de milliards d’euros levés en impôts, taxes et ponctions, le chômage continue de grimper ; que la formation des adultes soit toujours plus fumeuse ; que les transports en commun soient toujours plus médiocres ; que la couverture sociale laisse tous les jours plus à désirer ; que l’éducation de nos enfants se réalise toujours de façon plus lâche et floue, ou sur des concepts tous les jours plus fumeux, pour aboutir à excréter des illettrés et des analphabètes toujours plus nombreux.

Accordons cependant que ces domaines, hors du régalien, peuvent souffrir d’un peu de relâchement si, d’un autre côté, le régalien est suivi à la culotte, que ce domaine est taillé au cordeau et en devient d’autant plus irréprochable. Pour rappel et pour ceux qui ne suivraient pas, le régalien, c’est la police, la justice, la diplomatie et l’armée, et la bonne utilisation de ces institutions assurent normalement la loi et l’ordre sur le territoire républicain. Dans ce cadre, il serait donc parfaitement outrageant que des pans entiers du territoire échappent à la loi.

Malheureusement, il faudrait être niais, mal informé ou aveugle pour ignorer encore que, depuis de nombreuses années, le territoire français supporte quelques petits trous, ici ou là, officiellement appelés ZSP (zones de sécurité prioritaires) ou plus pudiquement dans les médias, des quartiers émotifs sensibles.

Dans ces zones impressionnables, la police a bien du mal à faire régner quoi que ce soit et c’est une autre loi qui s’est installée. Ainsi, dans la cité de la Grande Borne (Essonne) et depuis des années, il est devenu extrêmement dangereux de s’arrêter à certains feux de circulation : au « carrefour du Fournil » qui tient son nom d’une boulangerie installée à l’angle, on ne dit ni pain au chocolat, ni chocolatine, mais plutôt car jacking ou vol à la portière avec violence. Depuis plus d’un an, la mairie tente de reprendre ce territoire aux agresseurs… Sans succès.

La mairie sent bien que ces petits désagréments aux feux provoquent probablement un manque à gagner au niveau du commerce, des taxes et des impôts, sans parler des petites démangeaisons frontistes de certains électeurs, ce qui la motive donc à pousser la police à tenter de faire des trucs et des machins. On ne parle pas, ici, de réinvestir les lieux, tenter de pacifier la cité et d’y faire régner la loi et l’ordre, que nenni ; et de toute façon, des lois douces, des procédures souples et surtout des juges compréhensifs veillent à ce qu’un retour local à la norme ne puisse avoir lieu que dans les limites strictes d’un plan (multi-quinquennal ?) forcément câlin. Partant, la police tente malgré tout de faire, vaguement, son travail en installant quelques automates de surveillance. Manque de bol comme dirait un président à la (petite) hauteur, ces caméras sont détruites, avec application.

On insiste donc. Puisqu’il le faut, on va sécuriser le dispositif de sécurisation. On va surveiller l’appareil de surveillance. On va mettre des flics au pied des caméras (oui, oui, n’importe quelle autorité préfectorale peut très bien tenir ce genre de raisonnement à condition d’être correctement gonadectomisée).

Et bien sûr, là, c’est le drame.

Comme le territoire, perdu pour la République mais manifestement gagne-pain pour une certaine catégorie de « jeunes », tente d’être repris par un camp (celui de l’État), l’autre s’empresse de bien faire comprendre qu’il n’en sera pas ainsi. Une violente attaque à base de cocktails Molotov s’en suit donc logiquement. Pour s’assurer que le message passera bien, les assaillants des voitures empêcheront les fonctionnaires de police de sortir, ce qui aboutira à des brûlures graves pour une policière et à une mise en coma artificiel pour un adjoint de sécurité.

Le temps que les réseaux sociaux fassent monter la sauce et que la presse, forcée de suivre les clics et les pages vues, relaie l’information, les politiciens montent au créneau : tous dénoncent l’acte (étonnant !), tous réclament des sanctions exemplaires (surprenant !), tous expliquent doctement que la justice sera faite (et encore heureux !). Aucun, pas même ceux qui sont en campagne, pour admettre que nos systèmes régaliens ont quelques petits soucis. Aucun, ni Cazeneuve (substance évanescente en charge de l’Intérieur et dont la matérialisation sur ce plan astral n’est manifestement pas prévue à l’ordre du jour), ni Urvoas (l’actuel patron de l’Ajustice) pour admettre qu’il faut en finir avec les zones de non droit. C’est bien simple : elles ont un nom (ZSP) mais elles n’existent pas, il n’est donc pas besoin de s’en occuper, oh oh oh, même si ce qui vient de se passer en est une illustration frappante/brûlante.

Le constat posé, l’indignation correctement étalée en couche épaisse dans les journaux, que peut-on dire à présent ?

Il suffit de lire un peu la presse pour comprendre qu’absolument rien n’a changé et que ces événements — pourtant scandaleux qui nécessiteraient certainement une reprise en main complète de ces quartiers oubliés — ne provoqueront qu’une volée de papiers pondérés et d’analyses subtiles, un rapport ou l’autre d’une commission quelconque, et que rapidement, les choses reprendront leur cours normal. Il faut se résoudre à l’évidence : un pays qui voit régulièrement des émeutes dans les banlieues avec tentatives de meurtres de flics, caillassages/lapidations, douzaines de voitures cramées, etc… sans plus réagir que ça pourra très bien supporter de perdre un quartier de plus à ces petits gangs mafieux.

Il suffit d’ailleurs de lire la titraille consacrée au tragique événement pour s’en convaincre tristement :

Policiers attaqués : « une situation prise très au sérieux au sommet de l’État »

… On peut pouffer intérieurement : la seule question qui doit préoccuper vraiment le « sommet de l’État » est probablement de savoir si cet événement pourra faire grimper le Front National ou pas et si cela lui permettra d’en tirer quelques bénéfices pour sa prochaine et inévitable campagne. En réalité, le sort de policiers brûlés (ou blessés, ou en grève, ou sur le terrain, avec ou sans revendication, etc…) indiffère complètement le sommet de l’État. Le sommet de l’État proute dans la direction générale de ces quartiers et des problèmes qu’ils génèrent. Le sommet de l’État a un buffet cet après-midi ou demain, doit serrer des pognes dans la semaine, et il doit se débrouiller pour éliminer un maximum de concurrents de la droite et de la gauche pour choper la queue du Mickey et obtenir un tour de manège supplémentaire. Sur le plan sécuritaire, sur le plan social, le sommet de l’État n’a rien, absolument rien à carrer de ce qui s’est passé à Viry-Châtillon qu’il serait d’ailleurs infoutu de situer sur une carte sans utiliser Google.

Soyons clair : Le sommet de l’État a pris un bon petit déjeuner ce matin et il vous emmerde.

Eh oui, chers lecteurs, il n’y aura pas de prise de conscience. Il n’y aura pas d’action ferme, pas plus que de sanctions rapides. La justice ira son petit train-train quotidien. La justice continuera, proprement, calmement, à poursuivre avec assiduité les octogénaires courageux qui font fuir leurs cambrioleurs. La justice continuera à condamner ceux qui tenteront de remettre un peu d’ordre et de morale dans ce pays, ceux qui, après 53 cambriolages, finissent par prendre les armes. La justice sera ferme, pour le coup, avec les méchantes milices de citoyens excédés par l’absence de réponse des autorités. La justice, comme le sommet de l’État, n’a que faire des récriminations des gueux et des petites gens : ils sont solvables. Ils sont calmes. Ils sont punissables. Ils sont faciles à choper.

En vertu de quoi, je vous le garantis : ce qui s’est passé à Viry-Châtillon se reproduira, de façon plus violente, encore et encore.

Ce pays est foutu.