" Vous voyez, Dieu n'est pas un chrétien ! " (Bruxelles, le 2 juin 2006).
Ce vendredi 7 octobre 2016, l'archevêque sud-africain (à la retraite) Desmond Tutu fête ses 85 ans. Un âge canonique qui le place dans le rôle de Sage. Ce rôle, en fait, il l'a toujours pris depuis le début de son existence, sans s'empêcher pour autant de dire les choses franchement, avec audace et parfois en se mettant certaines personnes à dos.
Né dans le Transvaal, Desmond Tutu passa une partie de son enfance à Johannesburg et fit des études pour devenir instituteur en 1954, mais il y renonça trois ans plus tard à cause du système scolaire qui négligeait la population noire. Il changea de trajectoire en reprenant des études, en théologie, ce qui l'a conduit à être ordonné prêtre anglican en 1961. Il occupa différentes fonctions dans l'Église anglicane, en Grande-Bretagne ainsi qu'en Afrique du Sud où il fut nommé doyen du diocèse de Johannesburg en 1975, puis évêque du Lesotho en 1976, et secrétaire général du Conseil œcuménique d'Afrique du Sud en 1978.
La lutte contre l'apartheid fut pour Desmond Tutu l'un de ses principaux sujets de préoccupation depuis les émeutes de Soweto du 16 juin 1976 qui ont entraîné 23 morts dont des enfants, et depuis l'arrestation le 18 août 1977 puis l'assassinat après torture le 12 septembre 1977 de Steve Biko, l'un des militants anti-apartheid les plus marquants.
Ce fut Desmond Tutu qui s'exprima lors de l'enterrement de Steve Biko dont la mort a provoqué d'autant plus l'émotion dans la communauté internationale que le Ministre sud-africain de la Justice Jimmy Kruger s'en était moqué : " La mort de Steve Biko me laisse froid. ". En vérité, la mort de Steve Biko a laissé froid... d'abord Steve Biko lui-même... Les conséquences, ce furent deux résolutions de l'ONU adoptées contre le régime sud-africain (le 31 octobre 1977 et le 4 novembre 1977).
Luttant essentiellement par ses sermons qui étaient très écoutés mais aussi par des actions concrètes (par exemple, dépistage du HIV), Desmond Tutu prôna la non-violence, la paix, et aussi la non-vengeance et le pardon. Ce fut cette lutte pacifique qui le rapprocha naturellement de Nelson Mandela, alors en prison, lui aussi pour la non-violence. Ce combat trouva une reconnaissance internationale et un encouragement politique le 16 octobre 1984 lorsque le Prix Nobel de la Paix fut décerné à Monseigneur Tutu.
Le 7 septembre 1986, Desmond Tutu fut nommé archevêque du Cap, qui lui donna plus d'influence pour s'opposer à l'apartheid. La transition démocratique entre Frederik De Klerk et Nelson Mandela fut l'occasion d'un nouveau défi pour celui qui était devenu une "star" internationale : Nelson Mandela lui confia la présidence de la très stratégique Commission Vérité et Réconciliation chargée d'enquêter sur les crimes commis durant le régime d'apartheid. L'objectif était d'amnistier les criminels qui auraient reconnus publiquement leurs crimes, correspondant à la période entre le 1 er mars 1960 et le 10 mai 1994. La Commission a donc tenu de très nombreuses auditions retransmises à la télévision (chaque dimanche) du 15 avril 1996 à juin 1998, et a remis son rapport le 29 octobre 1998. Cette mission a servi de base pour façonner le "roman national" à la nouvelle Afrique du Sud.
L'autorité morale et l'aura internationale que lui ont apportées ses responsabilités religieuses et son Prix Nobel ont amené Desmond Tutu à intervenir en faveur de nombreuses causes, en particulier pour un Tibet libre. Ami de longue date du dalaï-lama, Prix Nobel de la Paix 1989, Desmond Tutu lui a expliqué ce qu'il dirait aux autorités chinoises : " Nous disions au gouvernement d'apartheid : vous avez peut-être des armes, vous avez peut-être le pouvoir, mais vous avez déjà perdu. Venez rejoindre le camp des vainqueurs ! ". L'archevêque sud-africain s'est également exclamé : " Je dis un grand merci à Dieu d'avoir créé un dalaï-lama ! ".
Desmond Tutu a aussi soutenu le combat politique de l'ancienne opposante birmane Aung San Suu Kyi, autre Prix Nobel de la Paix (1991), s'est fermement opposé à la dictature de Robert Mugabe au Zimbabwe (et au silence du gouvernement sud-africain sur la situation politique au Zimbabwe), a dénoncé l'accession au pouvoir de Jacob Zuma soutenu par un parti ultramajoritaire, s'est engagé contre l'homophobie, a réfléchi sur le changement climatique (en suggérant des mesures radicales comme le boycott des compagnies pétrolières), s'est opposé très fermement à la guerre en Irak (et souhaite que George W. Bush et Tony Blair soient jugés pour cela), et reste toujours fidèle à la cause palestinienne, accusant les gouvernements israéliens de ne pas vouloir la paix et de faire de la ségrégation comme à l'époque de l'apartheid ou même du nazisme. Il a aussi mené des combats contre le racisme, le sida, la tuberculose, la pauvreté, et pour l'égalité homme/femme, la réunification de la Corée, la paix au Soudan, pour la réconciliation aux îles Salomon (le 29 avril 2009) après les violences interethniques de 1998 à 2003, etc. Il accepta même la légalisation de l'avortement en Afrique du Sud en 1996.
En avril 2003, le prélat anglican avait téléphoné à Condoleezza Rice, à l'époque conseillère sécurité à la Maison-Blanche, pour retarder la déclaration de guerre : " Selon quel critère devons-nous décider que Robert Mugabe doit être traduit devant la justice, mais que Tony Blair doit participer au circuit des conférences, que Ben Laden doit être assassiné, mais que l'Irak doit être envahi, pas parce qu'il possède des armes de destruction massive, comme Blair (...) a fini par l'admettre, mais pour se débarrasser de Saddam Hussein ? " ("The Observer", le 2 septembre 2012).
Desmond Tutu n'a sans doute pas plu à tout le monde en exprimant certaines idées auxquelles il croit. Mais la chose qui est sûre, c'est qu'en s'engageant si ouvertement, parce qu'avec ses titres et ses prix (il a reçu d'autres récompenses prestigieuses que le Nobel), sa parole est écoutée, il a toujours prôné la non-violence, la paix, la réconciliation et le pardon. Et cela, personne ne peut être raisonnablement contre. Happy birthday !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 octobre 2016)
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Pour aller plus loin :
Desmond Tutu.
Mère Teresa.
Le dalaï-lama.
Le pardon.
L'Afrique du Sud.
L'Afrique du Sud de Pieter Botha.
L'Afrique du Sud de Frederik De Klerk.
L'Afrique du Sud de Nelson Mandela.
L'Afrique du Sud de Thabo Mbeki.
L'Afrique du Sud de Jacob Zuma.
Le Zimbabwe.
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