Olivia Mc Gilchrist est née à la Jamaïque où elle a vécu jusqu’à l’âge de quatre ans. Son père est jamaïcain et sa mère française. Elle a grandi en France puis poursuivi ses études aux Etat –Unis. Ce n’est qu’à l’âge de trente ans qu’elle retourne pour la première fois à la Jamaïque.
Titulaire d’un M.A de Photographie du London College of Communication, University of the Arts London et d’un Graduate Certificate en Digital Technologies et Design Art Practice, Faculty of Fine Arts, Concordia University, elle développe son projet dans des séries photographiques, dans des installations vidéo multi média, dans des performances et s’intéresse plus particulièrement aujourd’hui à la réalité virtuelle. En 2016, elle a exposé entre autres à Art Basel Honk Kong en Mars, Art Basel en Juinet Art Basel Miami en décembre.
Série Withey
Discovery bay
Quel est votre projet artistique?
Dans mon travail actuel, je cherche à créer une expérience d’immersion à la fois visuelle et sonore pour questionner nos relations à la notion d’altérité en lien avec la réalité postcoloniale et avec ses traces encore perceptibles dans la société contemporaine. C’est la suite de ma recherche la plus récente sur l’emploi symbolique et physique du masque de réalité virtuelle Oculus Rift dans un contexte Caribéen postmoderne. Ma thèse de Certificat en Arts et Design Numériques s’intitule: ‘on both sides’ notes on the creation of a Virtual Reality multi-media installation in a post-colonial Caribbean context.
Dans ma recherche précédente, lorsque j’étais basée en Europe, je me suis interrogée sur l’évolution formelle du portrait photographique depuis l’image fixe vers l’image en mouvement. Ma thèse de Maitrise en Photographie s’intitule Videos of Dancing subjects in an internet culture, as documents produced in the form of a tableau.
Dans ma pratique en arts numériques, j’explore depuis fin 2014 les possibilités offertes par la réalité virtuelle notamment avec le casque Oculus Rift, tout en suivant de près l’évolution rapide des multiples plateformes de réalité virtuelle et réalité augmentée en particulier au Québec et au Canada, où le niveau de recherche est impressionnant dans ces domaines. Il me semble que les artistes et étudiants en arts visuels et numériques d’aujourd’hui et de demain devront sérieusement considérer ces plateformes qui recadrent le pouvoir expressif de l’image d’une manière encore très peu explorée.
Série Withey
Fern Gully
Vous photographiez Withey dans des lieux précis de la Jamaïque qui ont une histoire : Fern Gully, Frenchman’s cove, Lovers Leap…
Mon alter ego, Withey, explore comment s’expriment physiquement mes émotions dans la quête de mon identité. Cette série questionne mon identité post- coloniale de femme blanche en la resituant dans des paysages tropicaux pittoresques et marqués par l’histoire.
“Lovers’ Leap est situé dans la montagne à Santa Cruz dans la paroisse de Sainte Elizabeth. Elle est appelée ainsi à cause de l’histoire de Mizzy and Tunkey, deux esclaves qui ont vécu auXVIII ème siècle. La légende raconte que le maître de Mizzy, Richard Chardley, avait jeté son dévolu sur Mizzy et que, pour la garder en toute exclusivité, il a vendu son amoureux à un autre propriétaire. Mizzy et Tunkey se sont échappés avant d’être séparés. Poursuivis jusqu’à une falaise, plutôt que d’être pris et séparés, ils ont préféré mourir ensemble.
Après avoir entendu cette histoire, j’ai voulu confronter mon alter ego Withey à ce lieu particulier.
“Fern Gully » est une portion de route sinueuse dans la paroisse de Sainte Ann. Ce sont les fougères qui y poussent et forment un tunnel de végétation luxuriante qui lui ont donné ce nom. La plupart des visiteurs ne prêtent pas attention à la variété des plantes mais les botanistes avisés remarquent le trois cents espèces de fougères ainsi que le Blue Mahoe et les bananiers. Cette route a été tracée en 1907 lorsqu’un tremblement de terre a détruit l’une des rivières de ce secteur des Ocho Rios area. Le lit de la rivière a été pavé pour créer la route.
Ce lieu m’a inspirée parce que la route avait été une rivière et par conséquent évoquait l’eau et les esprits qui l’habitent comme River Mumma ou la sirène. Withey s’allonge sur la route, réputée pour ses accidents dangereux, pour rappeler la fragilité des écosystèmes.
“Frenchman’s Cove, est situé près de Port Antonio dans la paroisse de Portland. Son nom provient d’un conte populaire qui raconte une bataille entre les français et les anglais à proximité du lieu. On raconte que les anglais ont battu les français et que les soldats blessés ont cherché refuge dans cette crique d’où son nom Frenchman’s Cove.
Ce lieu compte pour moi dans la mesure où je me souviens que j’y allais petite et nageait accrochée à la même corde qui apparaît sur le photo. Là la rivière rejoint la mer et vous pouvez nager dans l’eau douce ou l’eau de mer ce qui accroît encore la beauté unique de ce lieu. Il évoque la figure de la sirène , c’est ce qui a inspiré la photo.
Série Withey
French man’s cove
Pour quelles raisons privilégiez- vous le développement de séries?
Les séries sont des ensembles d’idées & d’images. Pour mon travail, c’est une façon de développer des projets larges et cohérents. Une série peut aussi me donner plus de place pour faire dialoguer des points de vue complémentaires sur le sujet traité dans les images, bien que je voudrais que chacune de mes images puisse fonctionner seule.
Comment les définiriez -vous : thématiques? narratives? autre?
Chaque image émane d’un projet (concept) mais aussi d’une émotion visuelle. Je cherche à confronter des clichés très établis à travers un langage visuel accessible et pertinent. La photographie peut remplir ce rôle, mais sa portée évolue énormément dans la foulée de différents médias contemporains.
Lorsqu’il ne s’agit pas d’auto- portait, quelle est votre relation au modèle
?
Depuis 2011, ma pratique a changé: Ainsi depuis la série Whitey, que je ne considère pas strictement comme un autoportrait personnel, d’autres modèles vont faire partie d’une chorégraphie et remplir un rôle dans les séries qui ont suivi.
Par contraste, les images du photographe Jamaïcain Marlon James sont des portraits au sens formel, et son approche est celle dont j’ai toujours rêvé pour mon travail- mais mes idées ont poussé mon approche vers la mise en scène de tableaux photographiques qui ne réfèrent pas au sujet photographié en tant qu’individu mais plutôt comme une figure symbolique.
Le masque est quelquefois blanc et quelquefois doré, cela a-t-il une signification particulière ?
Lorsque j’utilise le masque, pour moi ou pour d’autres modèles, cela n’a rien à voir avec le visage mais plutôt avec le corps. L’expression du visage n’a pas d’importance. Il est question de la construction de la notion raciale dans un contexte colonial et néo – colonial.
Le masque blanc a pour origine une gravure du XIX ième siècle d’Isaac Mendes Belisario, Actor Boy, qui représente une homme noir, John Canoe, portant un masque blanc pour interpréter une imitation subversive du propriétaire blanc d’une plantation pendant les festivités du carnaval. C’était le seul moment où les esclaves avaient le droit de se déguiser et de jouer pour divertir l’élite blanche. C’était au sein de la communauté d’esclaves le moyen de souligner que le pouvoir des blancs était une construction sociale hors de toute détermination biologique. Bien que je sois blanche, je porte un masque blanc pour y faire référence.
Le masque doré m’a été suggéré par la légende jamaïcaine de Riva Mumma and the Old Higue. Riva Mumma avait un peigne d’or et pouvait découvrir de l’or dans la rivière. Elle serait aussi la gardienne de l’or abandonné là par les Espagnols lors de leur quête de l’eldorado.
Série Withey
Hydehall