R.J. Ellory – Papillon de nuit

Par Yvantilleuil

La naissance d'un grand !

R.J. Ellory a déjà publié de nombreux romans, mais celui-ci a la particularité de précéder tous les autres... même s'il a été traduit longtemps après. " Papillon de nuit " est en effet le premier livre du célèbre auteur britannique.

Le récit invite à suivre les derniers jours d'un jeune homme enfermé dans le couloir de la mort durant les années 80. Après douze années de détention, Daniel Ford ne se contente pas de décompter les jours, mais se remémore également les événements qui l'ont conduit jusque-là.

Si l'enquête, qui permet de découvrir les faits dont le détenu est accusé, peut assurément justifier que l'on classe cet ouvrage dans la section polar, comme souvent avec R.J. Ellory, ce roman est bien plus que cela. C'est tout d'abord une plongée dans les pensées les plus intimes d'un jeune homme qui a vécu, qui a aimé et qui redoute maintenant cette mort toute proche. C'est également l'occasion de découvrir la grande Histoire, celle des États-Unis durant les années 60, qui accompagne et influence la petite. C'est probablement aussi une invitation à réfléchir sur la peine de mort, sur les ravages de la guerre et sur le racisme.

" Après le début des années soixante, tout est parti en couilles, et avec le Vietnam et les trente-cinq mille hommes par mois qui sont envoyés faire la guerre de quelqu'un d'autre, tout le monde a plus ou moins baissé les bras et s'est résigné à une vie de télé, de Prozac, de comptage de calories et de bardage en aluminium. "

Le lecteur est donc invité à revenir en arrière, à une époque où l'Amérique subit de nombreuses métamorphoses. De l'assassinat de JFK à la guerre du Vietnam, en passant par l'abolition des lois ségrégationnistes, l'auteur jette un regard délicieusement sombre sur de nombreux événements qui ont changé la face du monde. Ce long retour en arrière permet aussi de découvrir les personnes qui ont marqué la vie de Daniel Ford. De la rencontre, à l'âge de six ans, de ce petit gamin noir qui deviendra son meilleur ami, à ses premiers émois, R.J. Ellory raconte une merveilleuse histoire d'amitié, ainsi qu'une émouvante histoire d'amour.

" Je voulais qu'il sache que derrière ces yeux il y avait des souvenirs, que chacun d'entre eux était un fil, et que si on tirait sur ce fil un monde entier se déroulerait derrière. "

Outre la richesse du contenu, il y a également le style lent et riche en digressions d'un auteur qui prend son temps pour poser un contexte historique et pour distiller les émotions bouleversantes de cet homme qui attend d'être exécuté. Ce qui est marrant avec cet auteur, c'est que chaque fois que j'avais envie de l'accuser de longueurs ou d'un manque de rythme, parce que la parenthèse en question m'intéressait moins ou que le passage me semblait redondant, je ne pouvais m'empêcher d'être émerveillé par la beauté des phrases et par la justesse des mots. Alors oui, il parle parfois trop... mais il le fait tellement bien !

" Certaines personnes affirment que la peine de mort est une solution trop facile, bien trop rapide. Ils disent que ceux qui ont commis un meurtre devraient souffrir autant que leur victime. Eh bien, croyez-moi, c'est le cas. Ils oublient les années que les gens comme moi passent ici, deux étages au-dessus de l'enfer. Ils n'ont jamais entendu parler des type comme M.West, et de son sentiment que le châtiment devrait être à la hauteur du crime, que vous soyez coupable ou non. Les gens n'ont vraiment aucune idée de ce que ça fait de savoir que vous allez mourir, et après les premières années, ce jour peut arriver n'importe quand. Ils ne savent rien des espoirs soudains qui retombent si rapidement, des appels qui tournent en rond pour finir par s'envoler. Il ne savent pas ce que ça fait quand vous découvrez que tel ou tel juge a examiné votre dossier et rejeté l'audience que vous attendiez depuis près de trois ans. Ces choses sont le châtiment. A tel point que, quand le moment arrive, vous êtes presque reconnaissant, et vous voudriez que les jours, les heures, les minutes disparaissent... qu'ils se fondent en un simple battement de cœur et que les lumières s'éteignent pour de bon. Les gens parlent de raison de vivre, de raison de se battre, de raison de continuer. mais si vous savez au plus profond de votre cœur que vous vous battez uniquement pour la satisfaction qu'éprouvera un autre quand vous mourrez, alors il vous reste peu de raison de lutter. c'est cynique, mais la plupart du temps, c'est le type qui est exécuté qui désire le plus l'exécution "