Partager la publication "[Critique série] LUKE CAGE – Saison 1"
Titre original : Marvel’s Luke Cage
Note:
Origine : États-Unis
Créateur : Cheo Hodari Coker
Réalisateurs : Paul McGuigan, Guillermo Navarro, Vincenzo Natali, Marc Jobst, Sam Miller, Andy Goddard, Magnus Martens, Tom Shankland, Stephen Surjik, George Tillman Jr., Phil Abraham, Clark Johnson.
Distribution : Mike Colter, Mahershala Ali, Simone Missick, Theo Rossi, Erik LaRay Harvey, Rosario Dawson, Alfre Woodard, Frank Whaley, Frankie Faison…
Genre : Action/Thriller/Drame/Adaptation
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 13
Le Pitch :
De retour à Harlem après les incidents survenus à Hell’s Kitchen, aux côtés de Jessica Jones, Luke Cage tente de mener une existence normale. Doté d’une force et d’une résistance surhumaines depuis qu’il fut le sujet d’une expérience scientifique, Luke ne veut pas faire de vagues, mais doit bien se résoudre à sortir de l’ombre quand Cottonmouth un homme influent d’Harlem et sa cousine, une politicienne prête à tout, décident de prendre le pouvoir sur la population. Se refusant à embrasser sa destiné super-héroïque, Cage va pourtant peu à peu devenir le seul espoir des habitants d’Harlem…
La Critique :
C’est en 1972 que Luke Cage a fait son entrée dans la galaxie Marvel. Créé par Archie Goodwin et John Romita Sr., le personnage fut le premier super-héros afro-américain à obtenir sa propre série de comics. À l’époque, Cage s’impose comme l’expression du désir de la maison aux idées d’embrasser les codes de la blaxploitation et du même coup élargir son champ d’horizon. Personnage marquant pour plusieurs raisons, Luke Cage inspira d’ailleurs jusqu’à un certain Nicolas Coppola qui, au moment de débuter sa carrière d’acteur, choisit d’adopter le nom de Nicolas Cage pour prendre Hollywood d’assaut, avec le succès que l’on connaît. On parle donc ici d’un héros important qui, à l’instar de Jessica Jones et de Daredevil, fait ses débuts dans le Marvel Cinematic Universe par le biais de Netflix et non sur grand écran, aux côtés de Captain America et des autres Avengers.
Si on devait comparer les différentes castes de super-héros à l’aune de leur traitement par les Studios Marvel, on pourrait rapprocher les personnages « cinématographiques » de l’armée et ceux de la TV (chez Netflix ou ABC avec ses Agents du SHIELD) de la police. Quand la menace est d’envergure et met en péril l’équilibre de la Terre, voire de l’univers, on appelle Iron Man, Thor et Cie, mais quand il s’agit de faire respecter la loi dans les quartiers, c’est au tour de Daredevil, de Jessica Jones et donc de Luke Cage d’aller au turbin. Une hiérarchie qui est moins franche ou carrément inexistante dans les comics, mais qui, concernant les adaptations, peut s’expliquer différemment suivant les intervenants. Pour Daredevil par exemple, c’est plutôt simple étant donné que le ratage du film avec Ben Affleck a clairement rendu tricard le personnage aux yeux des gros bonnets désireux de miser leurs billes sur des valeurs sûres. Netflix lui a offert une renaissance mais ce n’était pas gagné. Pour Jessica Jones c’est encore autre chose. Pas franchement spectaculaire au premier abord, alcoolo et peu portée sur les convenances, la super-anti-héroïne fait office de « punk » chez Marvel et ne pouvait guère cadrer avec les canons « tous publics » des blockbusters. Luke Cage pour sa part, aurait très bien pu jouer des coudes pour se retrouver à poutrer du bad guy avec Steve Rogers. Mais l’autorité suprême en a décidé autrement, et ce n’est certainement pas plus mal vu le soin avec lequel Netflix soigne ses super-héros, pour l’instant honorés par des séries sans concession et ainsi plus proches des aventures les plus sombres appréciées des fans de comics.
La perspective de rentrer de plein fouet dans le Harlem de Cage avait quelque chose de très excitant. Héros du peuple, sorte de brillant et furieux porte-parole d’une cause qu’il défend poings en avant, Luke Cage se devait de faire un maximum d’étincelles en solitaire, à l’instar de ses amis de Hell’s Kitchen. À plus forte raison après avoir franchement brillé en second rôle dans la première saison de Jessica Jones, où Mike Colter, son interprète, a eu le loisir de faire bien plus que de présenter le personnage et ses pouvoirs, face à L’Homme Pourpre joué avec brio par David Tennant. Qu’est-ce qui allait attendre Cage pour son retour à Harlem ?
On le sait, dans ce genre d’histoire, le méchant est primordial. Si Daredevil fait aussi bonne figure, c’est également grâce à Wilson Fisk, le fameux Kingpin sublimé par Vincent D’Onofrio. Idem pour Jessica Jones avec David Tennant. Avec Luke Cage, c’est plus compliqué tant il devient vite évident que le héros ne trouvera pas sur son chemin un antagoniste vraiment à la hauteur de sa carrure et de ses pouvoirs. C’est le principal défaut de cette première saison. Cheo Hodari Coker, le showrunner, n’a pas réussi avec la même flamboyance que ses prédécesseurs quand le moment fut venu de donner à son personnage principal un bad guy à sa mesure. Et au fond, on comprend la difficulté de la chose car on parle quand même d’un type à l’épreuve des balles, fort comme 10 hommes, qui comme Wolverine, se régénère tout seul. Impossible de ne pas se dire à plusieurs reprises au fil des 13 épisodes, qu’au fond, il suffirait à Cage de se pointer chez le méchant pour lui en coller une et le mettre hors d’état de nuire, empêchant ainsi plusieurs innocents de se faire dessouder. La série essaye bien de multiplier les pistes mais là aussi c’est une erreur. Il y a Cottonmouth, incarné avec conviction par Mahershala Ali (House Of Cards), mais celui-ci apparaît bien trop faible pour être menaçant. Même constat avec la politicienne Mariah Dillard, campée par Alfre Woodard (True Blood), ou avec le Shades, de Theo Rossi (Sons Of Anarchy). Il faut attendre la seconde moitié de la saison, et même carrément les 3 derniers épisodes pour voir enfin émerger le vrai salopard qui va mettre en péril Luke Cage. L’honneur est sauf mais on peut dire que beaucoup de surplace nous aurait été épargné si ce dernier était arrivé plus tôt.
Alors du coup, les scénaristes ont choisi d’opposer à Cage… Cage lui-même. La démarche, louable, était déjà au centre de la dynamique de Daredevil et Jessica Jones. Car chez Netflix, les super-héros n’en sont pas vraiment. Perclus d’incertitudes, ils se caractérisent par leurs doutes et par les démons qui ne cessent de les harceler. Chez Cage, le passé aussi revient par vagues successives pour ralentir la progression du héros et son émergence. Le problème, c’est qu’on connaît un peu la chanson et si Mike Colter se charge de lui donner une belle résonance, on ne peut guère ignorer ce petit sentiment de déjà vu qui habite les premiers pas de Luke Cage.
Vous l’aurez compris, la troisième série Marvel/Netflix met un peu de temps à démarrer. Plutôt que de jouer immédiatement la carte de l’action, le showrunner mise sur des joutes verbales pas toujours passionnantes et noie un peu le poisson en multipliant les digressions. Peut-être pour justifier les 13 épisodes, et tant pis si le scénario, en l’état, aurait eu plus d’impact sur un format plus court.
Au début, tout ce qu’on veut voir, c’est Luke faire dans le bourrin. Mais ça se mérite. Par contre quand le show passe la seconde, il assure vraiment. Les séquences d’action sont maîtrisées, percutantes et violentes à souhait, en accord avec la charte d’excellence des productions Marvel/Netflix. Surtout compte tenu du charisme de Mike Colter, aussi crédible dans les bourre-pifs que quand il faut communiquer de l’émotion de manière plus subtile. Dans la série, il envoie tout valser et incarne non seulement un héros, mais aussi des idéaux et une forme de résistance. Dans la réalité, l’acteur porte la série sur ses épaules, cependant très bien soutenu par la superbe Simone Missick et par l’incontournable Rosario Dawson, qui revient dans le rôle de l’infirmière Claire Temple, après des passages récurrents dans Daredevil et Jessica Jones, s’installant de manière plus franche cette fois-ci, dans un univers où elle tient une place qui n’a rien d’anecdotique.
Si son écriture accuse quelques ratés et que les méchants sont loin de s’imposer avec autant d’excellence que Fisk et Killgrave, Luke Cage gagne heureusement ses galons quand il s’agit de faire honneur à ses origines, qui, comme souligné plus haut, se trouvent dans la blaxpoitation. Il s’agit d’ailleurs de la série avec l’identité la plus marquée. Une identité gagnée au fil de nombreuses références, au Marvel Cinematic Universe bien sûr, mais aussi et surtout à tout un pan de la culture afro-américaine, de Shaft à Sweet Sweetback, en passant par Ali, Notorious B et la scène musicale d’hier et d’aujourd’hui, au travers des performances musicales filmées sur la scène du Harlem Paradise, le quartier général des méchants. Method Man fait même une apparition remarquée, posant son flow sur un morceau parfait, dont les paroles résument à merveille la signification du héros et sa place dans le monde d’aujourd’hui, faisant le lien, tout comme le scénario, mais de manière plus frontale, avec les récentes actualités. Le rappeur qui explique par exemple avec une pertinence rare que si la police en a après Cage, c’est qu’avant d’être résistant aux balles armes, il est avant tout noir. Tout est dit et le show de prendre une résonance politique qui fait défaut à la majeure partie des adaptations super-héroïques de chez Marvel, au cinéma tout particulièrement où la légèreté est de mise.
Comme ses camarades, Luke Cage se veut plus âpre et plus réaliste. Plus adulte aussi. Pas dénué de fantaisie, notamment quand la série n’hésite pas à embrasser un certain kitsch relatif à des codes du cinéma de blaxploitation, il prend pied dans notre monde et enchaîne les métaphores malignes. Dans son approche parfois un peu maladroite, la série réussit pourtant l’essentiel, compte tenu de ses aspirations évidentes et rend justice à la place véritable et prépondérante de Luke Cage dans l’univers Marvel, mais aussi dans un contexte plus palpable. Le scénario souligne la condition humaine du personnage avant de mettre en avant ses pouvoirs. Des capacités extraordinaires qui sont davantage des outils pour mettre en œuvre une volonté louable de donner du corps à des ambitions humanistes plutôt que de simples vecteurs de spectacle comme dans beaucoup de films du genre. Et ce n’est pas pour rien que Luke lui-même se défend d’être comme Captain America bien qu’au fond, il ne cesse de nous prouver, par ses actes et sa parole, qu’il s’avère tout aussi important, voire davantage.
Avec Luke Cage, Netflix a certes échoué sur certains points. Avec un bad guy de taille, si par exemple Diamondback était arrivé plus tôt, il en aurait été autrement, mais dans l’état actuel des choses, ce détail qui n’en est pas un et l’écriture trop brouillonne représentent un boulet de poids au pied du héros. Mais vu qu’il est fort comme un bœuf, cela ne gène pas sa progression, pas plus que cela n’entame son pouvoir d’attraction.
En Bref…
Le premier volet des aventures solo de Luke Cage compte quelques faux-pas. Pourtant, grâce à une mise en image inspirée, un univers funky au possible, et une personnalité attachante, en lien direct avec les canons de la blaxploitation, et des acteurs parfaitement calibrés pour le job, cette série finit par s’imposer. Immersive, elle est d’ailleurs étrangement plus valeureuse quand elle se fait le vecteur de problématiques bien réelles que lorsqu’elle tente de se couler dans un moule super-héroïque peut-être un peu trop étriqué pour ses mensurations XXL.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Netflix