La campagne électorale américaine prend actuellement une tournure intéressante, et pas seulement à cause des excitations plus ou moins artificielles autour des deux principaux candidats, Donald Trump et Hillary Clinton : alors que la polarisation des médias sur les deux représentants des deux principaux partis politiques du pays était presque totale, un troisième candidat semble à présent se dégager et remporter des soutiens inattendus.
Pourtant, difficile d’ignorer complètement le bonhomme.
Il y a déjà son programme, qui détonne face à celui des deux actuels prétendants surmédiatisés : fiscalement conservateur, c’est-à-dire cherchant l’équilibre budgétaire et le contrôle des dépenses publiques, libéral sur le plan social en renvoyant les individus à leur responsabilité, et non-interventionniste tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur (en matière militaire notamment), Gary Johnson présente donc une vraie opportunité de faire diminuer le poids de l’État américain qui, s’il est encore loin des sommets atteints en Europe par les États français ou belge par exemple, n’en demeure pas moins omniprésent dans la vie des citoyens tant au niveau de la taxation qu’au niveau des lois restreignant les libertés (Patriot Act, en particulier).
Il y a en outre ses scores dans les différents sondages, dans lesquels il est régulièrement crédité de 8 à 13% des suffrages. Si cela ne semble pas suffisant pour le qualifier pour les débats télévisuels, il n’en reste pas moins que ces scores sont plus qu’honorables (et supérieurs à ceux de Perot en son temps qui avait eu, lui, l’opportunité de s’expliquer en plateau).
Il y a enfin un nombre croissant de personnalités et même d’équipes éditoriales de grands journaux locaux ou nationaux qui ont choisi d’apporter leur soutien à sa candidature. Le rejet d’une Clinton, de plus en plus souvent vue comme hypocrite, ou d’un Trump, qui déplaît par son côté populiste, poussent beaucoup à se rapprocher des positions de Johnson.
Or, si on trouve un nombre important de journaux ou de personnalités d’obédience républicaine derrière Johnson, on découvre de plus en plus de démocrates, eux aussi lassés par le caractère antipathique de Clinton, pour rejoindre l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique dans sa course à la présidence. Plus spécifiquement, on devra citer le récent éditorial du Chicago Tribune, journal pourtant clairement démocrate, dont l’équipe a choisi d’apporter son soutien au candidat libertarien. Du reste, si l’on s’en tient justement au caractère des candidats et comme le fait remarquer un éditorialiste du Boston Globe, le candidat Johnson apparaît nettement plus recommandable que les deux autres.
Au passage, on ne pourra s’empêcher de noter les réactions outrées de certains lecteurs à l’édito du Chicago Tribune, choqués qu’on puisse ainsi rejeter les deux candidats adoubés officiellement par les mass-medias. Les commentateurs en viennent rapidement aux insultes ou injures, et montent en épingle les petites erreurs de communication de Johnson (confus lorsqu’il s’est agi de commenter sur la bataille d’Alep, en Syrie, et incapable de citer le nom d’un leader mondial qu’il admirerait), comme si ces deux erreurs constituaient une catastrophe d’ampleur biblique face aux gaffes pourtant assez phénoménales enfilées dans le même temps comme des perles tant par Trump que par Clinton. D’ailleurs, on retrouve là encore des journalistes – jusque sur le pourtant très démocrate Huffington Post – pour bien remettre en perspective ces broutilles périphériques au débat national américain.
Bref, on observe bien une accumulation, modeste mais persistante, d’éléments en faveur du troisième candidat, et pas seulement parce qu’il obtient le soutien d’une certaine frange de la population jeune, ou parce qu’il rassemblerait les déçus des deux principaux partis, mais bien parce qu’il offre une réelle opportunité aux États-Unis de sortir des paradigmes néo-conservateurs et/ou populistes que veulent offrir les autres candidats.
Bien évidemment, tant avec les scores dont il est crédité dans les sondages que dans la timidité avec laquelle les médias relayent son programme, la probabilité qu’il prenne le pouvoir est extrêmement faible. C’est d’autant plus dommage que, comme en France où, comme je l’évoquais il y a quelques jours, aucun des candidats qui se dégagent actuellement ne peut prétendre emporter l’assentiment (même mou) d’une majorité de Français, les États-Unis sont dans une passe similaire où celui qui sera élu ne pourra pas prétendre rassembler la moitié des votants derrière lui.
Indépendamment de ces hypothèses rafraîchissantes mais fort hardies, reste le message libéral, celui qui consiste à rappeler qu’un État peut très bien fonctionner en se recentrant sur ses seules prérogatives régaliennes et arrête de s’éparpiller en collectivisation à outrance et interventionnisme tous azimuts. Il semble qu’outre-Atlantique, ce message finisse par porter.
Espérons. La France étant toujours en retard de 20 ans, cela nous donne une idée du temps qu’il faudra encore pour que les citoyens de ce côté-ci de l’Atlantique redeviennent un peu lucides.