Folio plus Classiques propose une nouvelle édition commentée de Trente-trois Sonnets composés au secret de Jean Cassou (texte intégral, dossier d’Henri Scepi et lecture d’image par Bertrand Leclair).
XVII
Éloignez-vous sur la pointe des pieds.
Prenez la barque et ne revenez plus.
Retournez tous chez vous avec vos fées,
vos ombres étrangères et vos luths.
Bien sûr, pour vous, beaux promeneurs, ce fut
une aventure neuve et enchantée.
Emportez-la comme un bijou volé,
un feu qui tremble encore, un livre lu.
C’est ici la chambre des anges morts.
Laissez-nous seuls dans notre vie déserte,
devant ces mains et ces ailes inertes.
Il s’est passé ici, depuis l’aurore,
une effrayante histoire, étrange et tendre,
et que le désespoir seul peu comprendre.
XXV
Paris, ses monuments de sang drapés, son ciel
couleur aile d’avion, dans le soleil couchant,
j’ai tout revu, et j’entendais renaître un chant
lointain, pareil à une levée d’étincelles.
J’ai si longtemps aimé, il y a si longtemps,
cette ville dans une chambre aux murs de miel
et d’aube vieille, au plafond bas. Et dans le gel
du miroir pâle un fier visage méditant.
Et les meubles étaient d’acajou. Sur le marbre
une flûte. Par la vitre plombée, les arbres
– des marronniers – dessinaient leurs feuillé, très vert.
Je sais : j’étais debout, près de cette fenêtre
et les pavés retentissaient d’un bruit de fête,
une fête de tous les jours, comme la mer.
Jean Cassou, Trente-six Sonnets composés au secret, édition Folio Plus Classiques Texte intégral, dossier d’Henri Scepi et lecture d’image par Bertrand Leclair), 2016, pp. 51 et 59.
Sur le site Folio
Sur le site Gallimard :
« Entre décembre 1941 et février 1942, Jean Cassou est emprisonné à Toulouse pour acte de Résistance. Pour passer le temps et oublier l'horreur de la guerre il décide de composer des sonnets qu'il imprime dans sa mémoire ; n'ayant rien pour noter ses vers, il se tourne vers cette rigoureuse forme de prosodie afin de mieux les retenir. Malgré les difficultés qu'impose cet exercice de mémorisation, les trente-trois sonnets de Jean Cassou transcrivent avec force les instants noirs d'une période trouble et prouvent, une fois de plus, que des barreaux ne sauront jamais contraindre un esprit libre. »