La note est salée pour Apple. La Commission Européenne a condamné le géant américain à rembourser 13 milliards d'euros à l'Irlande pour avoir un peu trop pris ses aises en matière d'exonération fiscale sur le vieux continent. Pourtant organisé de concert avec le gouvernement irlandais, la stratégie fiscale d'Apple en Europe consiste à y payer le moins de taxes possible (0,005 % en l'occurrence). La pomme est bien déterminée à ne pas rembourser sa dette.
Cet affrontement soulève la question du respect par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) des législations fiscales étatiques et au-delà de l'adéquation des normes existantes aux acteurs de cette nouvelle économie. Il existe, en effet, un véritable décalage entre les régulations fiscales pensées par les États et les pratiques des géants mondialisés du secteur numérique.
Le récent duel entre Apple et Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la politique de la concurrence, illustre particulièrement bien les luttes de souveraineté qui sont à l'œuvre.
La logique d'Apple est celle d'une liberté entrepreneuriale qui se déploie sans limite géographique. Sa puissance lui permet de parler d'égal à égal avec les États et de contractualiser directement de gré à gré. De plus, son statut d'entreprise numérique implique des facteurs de production et des activités disséminés dans de nombreux pays.
En d'autres termes, la géographie de la norme politique et juridique parvient difficilement
à s'ajuster à la nature de l'activité et à son caractère mondialisé.
Pour autant, il ne faut pas négliger, l'implication croissante de l'Union Européenne dans la taxation des multinationales. Cette condamnation en est un bon exemple. Elle s'ajoute de plus aux actions résolues entreprises contre Google et la supposée discrimination opérée par le moteur de recherche au profit de ses services. La législation en la matière est de plus en plus abondante et devrait permettre un encadrement optimal. Au-delà des outils, la volonté politique constitue ici un levier important pour l'action.
Cette bataille juridique et politique a donné lieu à un affrontement brutal en termes de stratégies de communication. Fort de son influence, Apple n'a eu aucun mal à mener une intense campagne depuis l'annonce de cette amende. Apple a privilégié une posture de victime dont la liberté d'entreprendre et d'innover se trouverait menacée. Tim Cook s'est aussi exprimé dans une lettre ouverte en rappelant le rôle social de sa firme à travers son installation à Cork en Irlande, à une époque de chômage élevé. L'entreprise a aussi su bénéficier d'un fort soutien politique puisque le porte-parole de Barack Obama a déclaré que la position européenne risquait de mettre à mal les relations économiques entre les Etats-Unis et l'Union Européenne. A l'opposé l'Union Européenne a défendu le thème de la justice fiscale et de la juste contribution des GAFA aux écosystèmes dans lesquels ils s'intègrent.
Ainsi technologie, justice et politique, redessinent les contours d'une souveraineté devenue plurielle.
AC - JFP