Un film de: Stéphanie Di Giusto
Avec: Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, Lily-Rose Depp, François Damiens, Louis-Do de Lencquesaing, Amanda Plummer, Denis Ménochet, William Houston
Loïe Fuller est née dans le grand ouest américain. Rien ne destine cette fille de ferme à devenir la gloire des cabarets parisiens de la Belle Époque et encore moins à danser à l'Opéra de Paris. Cachée sous des mètres de soie, les bras prolongés de longues baguettes en bois, Loïe réinvente son corps sur scène et émerveille chaque soir un peu plus. Même si les efforts physiques doivent lui briser le dos, même si la puissance des éclairages doit lui brûler les yeux, elle ne cessera de perfectionner sa danse. Mais sa rencontre avec Isadora Duncan, jeune prodige avide de gloire, va précipiter la chute de cette icône du début du 20ème siècle.Il y a deux films dans La Danseuse; un bon et un mauvais. Le bon, qui domine et permet une réussite honorable du projet, se concentre sur la figure de Soko dans la peau du personnage Loïe Fuller et ambitionne de dépeindre la vie de cette danseuse comme une performance continuelle. L'attachement à décrire chaque étape du processus de création d'un numéro; construction mécanique, entrainement physique, mise en scène logistique avec tout un outillage nouveau pour l'époque qui confère à son héroïne la place d'artiste avant-gardiste qu'elle mérite, est la plus belle part du film. Tout comme l'exécution des numéros à proprement parler, même si on peut regretter qu'ils soit si rapides et découpés. En cela, le film évoque nécessairement Black Swan, dont la réussite tenait aussi dans cet enchainement de plus en plus frénétique entre l'entrainement perfectionniste voire maniaque en coulisse et la concrétisation du numéro sur scène. Ici aussi, le corps est mis à rude épreuve, et celui de Soko est particulièrement intéressant. Charpenté et musclé, il n'en est pas moins gracieux dans les performances de cette danseuse paradoxale, masculine dans l'entretien de son corps et éminemment féminine (les spectateurs le l'époque la comparaient à un papillon ou une fleur). Force et fragilité marquent ce personnage en profondeur et le corps, sacrifié à son art, en porte les stigmates. L'actrice est saisissante dans son incarnation à perdre haleine de la danseuse, toute en tension et douleur retenue. Le film met l'accent sur les meurtrissures qu'elle s'inflige sans ralentir; douleurs aux épaules, rétines brûlées par le feu des projecteurs de la scène... Ce corps vivant, souple et cabossé, rencontre son envers, celui raide et froid de Louis, son amant aristocrate. C'est un corps malade et dépendant, dont le maintient n'est assuré que par ses doses quotidiennes d'éther qu'il respire compulsivement.
L'autre film, mineur, entoure le premier et l'empêche de remporter pleinement la partie. Il s'agit pour ainsi dire de la " contextualisation " de l'intrigue principale, avec sa galerie de personnages secondaires qui gravitent autour de l'héroïne. De fait, le discours moralisateur autour du péché pèse malgré son éviction rapide tout comme les passages dans les nouveaux lieux de spectacle de la Belle Époque. De même, l'intrigue esquissée autour de la relation entre Loïe et Isadora Duncan semble de pure convention. Elle aurait pu être captivante si, comme il est dit plus haut, c'est le physique qui avait servi de point d'accroche. Voire la rivalité entre ces deux corps à l'opposé l'un de l'autre, ces deux conceptions de la danse, aurait rendu le film plus fiévreux encore. Malheureusement, ce qui ressemble à une amourette hautaine est à peine ébauchée et seulement placée sous le signe de la suffisance. Malgré tout, la mise en scène des numéros et le raffinement des performances scéniques suffit à saisir le choc qu'a pu produire à l'époque le surgissement de cette nouvelle figure, pionnière de la danse moderne.
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