Pour clôturer notre immersion en terre russe, grâce au 4ème Festival de cinéma russe de Nice, nous avons pu assister à l’avant-première, le vendredi 23 Septembre 2016, d’une autre agréable découverte du réalisateur Nikolai Lebedev dont nous avons déjà évoqué la dernière folie, L’équipage. Le légendaire n°17, après l’attristant film de commande Les champions a su nous réconcilier avec le film sportif en nous offrant à nouveau un spectacle haletant, un personnage charismatique interprété également par Danila Kozlovsky et une réalisation entraînante.
Au début des années 70, Valeri Kharlamov (Danila Kozlovsky que l’on a vu dans L’équipage), joueur de hockey sur glace dans une petite équipe local est repéré par Anatoli Tarasov (Oleg Menchikov), entraîneur du CSKA Moscou, meilleur équipe de Russie, et sélectionneur de l’équipe nationale. Avec ces méthodes d’entraînement controversées, ce dernier va mener l’équipe à la victoire jusqu’au Canada, tout en s’attirant les foudres de sa hiérarchie.
Valeri Kharlamov (Danila Kozlovski) et son meilleur ami (incarné à l’écran par le propre fils de Kharlamov, Aleksandr Kharlamov, également joueur professionnel)
C’est souvent un exercice périlleux que de se livrer à la biographie, d’autant plus à un film sportif, tant il est difficile de trouver un juste équilibre entre vie personnelle du sujet et exploits sportifs, entreprise personnelle et portée collective. C’est un délicat équilibre auquel Lebedev se prête avec aisance. On n’en vient à se demander si ce réalisateur russe, qui nous était encore inconnu hier, n’aime pas relever des défis. Il mélange ici un thriller politique s’inscrivant dans la grande histoire et le parcours de vie d’un athlète hors du commun, véritable star dans son pays mais méconnu dans le reste de l’Europe. Lebedev décrit d’abord un milieu, celui du sport professionnel, où s’entremêlent franche camaraderie, rivalités egocentrées et parfois favoritisme et magouilles. Cet aspect mercantile et politique va être le fil conducteur de la passe d’armes entre Anatoli Tarasov et un représentant du Comité soviétique de la culture physique et du sport (Vladimir Menchov, acteur et réalisateur de Amour et Pigeons) qui lui reproche, notamment, ses séances de préparations particulièrement éprouvantes pour les athlètes et son autorité tyrannique. Mais surtout, excellent exemple de collusion entre intérêt personnels et bien public, d’avoir refusé son fils au sein de son équipe. Pour le faire tomber, il entend obtenir des témoignages des joueurs qui refusent car ils vouent un véritable culte à leur coach. Dans cette optique, à l’image de Whiplash dans le domaine musical, Le légendaire n°17 interroge les méthodes controversées, au caractère coercitive, de certain mentors qui les font admirer pour leurs résultats incroyables autant qu’on peut les détester pour leurs approches à la limite de la torture physique et psychique. Au cœur de l’époque soviétique, les événements décrits interrogent également le culte de la personnalité. Charismatique, Tarasov prend la place d’un père juste mais sévère dans le cœur de ses ouailles. D’un autre côté, sa probité est mise à l’épreuve par les pressions du Comité. Il n’en devient pas moins sélectionneur de l’équipe olympique, personne ne pouvant nier ses résultats. Ne pouvant attaquer son œuvre, il s’agit donc de détruire l’homme. Une possibilité qu’un système de corruption rend possible.
Valeri Kharmalov (Danila Kozlovski) et Anatoli Tarasov (Oleg Menchikov)
Acte de bravoure lui promettant une mise au placard immédiate, Tarasov eu le culot, acculé, comprenant l’achat des arbitres, lors d’un rencontre entre la sélection nationale et le Spartak, de demander à son équipe de quitter le terrain avant la fin du match, alors que Leonid Brejnev était à la tribune. L’affront ne fut pas pardonné et les ennemis de Tarasov obtinrent le succès escompté de leur machination. Celui qui avait négocié avec le Canada, la création de rencontres internationales entre les deux pays fut donc relevé de ses fonctions avant le terme de son voyage et resta au pays. Le légendaire n°17 ne se limite pas à cet aspect policier du récit, c’est également, et surtout, un film de sport enthousiasmant mettant en avant, esprit d’équipe et valeurs affirmées, surfant sur un certain patriotisme lissé par un fair-play exemplaire. Les deux styles de jeux très différents des canadiens et des soviétiques est l’occasion de montrer deux revers d’un même sport et de la conception même du sport. Ultra-médiatisé dans les deux camps, les rencontres ne le sont pas dans le même esprit. Il s’agit, en URSS, de réunir le peuple autour d’un événement festif et patriotique, de prouver la supériorité morale et sportive de l’homme soviétique. D’une certaine manière, c’est encore un sport plus pur, où la beauté est à l’honneur. Au Canada, c’est déjà un autre univers. D’abord, le jeu est plus nerveux est violent, il s’agit d’écraser physiquement ses adversaires plutôt que de mettre en place un jeu subtil. Et surtout, les sponsors sont omniprésents, il s’agit de faire des petits sous avec un marketing au petits-oignons, diffusé comme le Super Bowl américain, en boucle à la télévision. C’est, en conséquent, un véritable plaisir, de voir l’amour du sport triompher sur l’amour du fric. D’autant plus que Lebedev sait insuffler un souffle épique sur sa mise en scène. Sans y connaître grand-chose au hockey sur glace, nous voilà presque debout comme des supporters avinés dans une foule en délire tant on vibre à l’unisson des spectateurs de fiction lorsque Kharlamov déploie tout son talent.
Irina (Svetlana Ivanova) et Valeri Kharlamov (Danila Kozlovski)
Huit fois champion du monde, entre 1969 et 1979, médaillés d’or aux Jeux Olympiques en 1972 et 1976, d’argent en 1980, Kharlamov est devenu un véritable légende. Mais c’est surtout sa vitesse et son sens du jeu face au canadien, à la forte réputation mais qui refusaient jusque là de participer aux événements internationaux, lors de la Série du Siècle, qui le consacra comme un héros du sport russe. A l’âge de trente-trois, il trouva dramatiquement la mort dans un accident de voiture. Le légendaire n°17 est un bel hommage à un sportif de haut-niveau incarnant à lui-seul, venu d’un petite ville de province, l’abnégation et l’obstination nécessaire pour se hisser au sommet, et tel Danila Kozlovsky, dont l’interprétation est parfaite, briller aux firmaments.
Boeringer Rémy
Retrouvez ici la bande-annonce :