(anthologie permanente) Søren Ulrik Thomsen

Par Florence Trocmé

Les éditions Cheyne publient Les arbres ne rêvent sans doute pas de moi du poète danois Søren Ulrik Thomsen, dans une traduction et avec une préface de Pierre Grouix. L’édition est bilingue.
Je me réveille et constate dans le miroir
que je ne suis pas né d’hier.
Il s’agit de gagner du temps
pour pouvoir supporter de perdre tout ce qu’on perdra.
De sacrifier une heure par jour
pour faire quelque chose selon les règles de l’art :
repasser sa chemise. Apprendre par cœur un vers extrêmement dur.
Quoi de plus minable que les sempiternelles ruptures ?
Comme si nous n’avions pas rompu une fois pour toutes.
Je n’essaie pas de me faire croire que je viens au monde chaque matin,
juste parce que chaque jour le monde paraît renaître.
En revanche, les arbres ne rêvent sans doute pas de moi,
comme moi d’eux.
Jeg vågner og konstaterer i spejlet,
at jeg ikke er født i går. /
Det gælder om at vinde tid, / så man kan tåle at miste alt det, man skal. /
At ofre en time om dagen /
på at gøre et-eller-andet efter alle kunstens regler: /
Stryge sin skjorte. Lære et knaldhårdt vers udenad. /
Hvad er vel mere ynkeligt end de evige opbrud? /
Som om vi ikke er brudt op een gang for alle. /
Jeg bilder mig ikke ind hver morgen at komme til verden, /
fordi den hver dag er som født påny. /
Til gengæld drømmer træerne vel næppe om mig, /
som jeg om dem.
*
Dédié à tout ce qui est resté longtemps sous la pluie
dans la chaleur dans l’ombre dans le vent dans le monde :;
tout ce qui est enchaîné à la vie
tandis que le soleil s’enfonce à travers sa silhouette floue.
Et à tout ce qui doit fuir de goutte en goutte
au long de la chaux des murs et de
la gaze bosselée des conduits de descente
pour se transformer d’abord en rouille, puis en poussière –
ce n’est pas par hasard que la croissance négative,
le vert-de-gris, la corrosion et divers revêtements sont mentionnés
car ceci est dédié à tout ce qui est sans domicile
et cherche une demeure
dans le fouillis sauvage du réseau électrique,
l’urine, un dessin fait sans y penser.
Non dédié au squelette de la morue,
blanc sur l’assiette blanche,
mais aux filaments de poisson qui pourrissent
entre une dent en or et une en argent ;
au sang qui glisse sur la cire du fil dentaire
et brille dans le miroir devant ton visage.
Ton visage qui ne se voit pas dans un miroir,
rien que dans celui d’un autre.
*
La radio a capté une station lointaine
où un chœur d’enfants
dans une langue qui doit être du russe
lit quelque chose qui doit être de la poésie
et pourrait sonner comme une traduction
du poème que j’ai toujours rêvé d’écrire.
Radioen har fanget en fjern station
hvor et kor af børn
på et sprog som må være russisk
læser noget som må være poesi
og kunne lyde som en oversættelse
af digtet jeg altid har drømt om at skrive.
Søren Ulrik Thomsen, Les Arbres ne rêvent sans doute pas de moi, traduit du danois et préfacé par Pierre Grouix, édition bilingue, Cheyne, 2016, pp. 56 à  59 et 126/127,
sur le site de l’éditeur
fiche bio-bibliographique Wikipédia, en anglais.