Pour son premier roman, l’écrivain transalpin Davide Enia livre un véritable uppercut, qui vous fait d’abord vaciller avant de vous mettre complètement KO. Pourtant, arrivé à la fin de cet ouvrage qui prend la boxe comme fil conducteur afin de livrer une saga familiale sur trois générations, tout en dressant le portrait d’une Sicile déchirée par des rixes mafieuses, vous vous relèverez avec l’impression d’avoir gagné en humanité.
Tout débute en compagnie de Davidù, neuf ans. Comme la plupart des garçons de son âge, il fait l’apprentissage de la vie dans les rues de Palerme. Dans ce quartier où règnent violence et machisme, il rêve de Nina, une fillette aux yeux noirs qui sent le citron et le sel, et d’une carrière de boxeur… comme celle de ce père qu’il n’a jamais connu.
« La boxe ce n’est pas juste donner des coups de poing et en recevoir, c’est une discipline qui apprend le respect et le sacrifice. »
Puis, passant des rues de Palerme gangrenées par la mafia à un camp de prisonniers en Afrique durant la seconde guerre mondiale, l’auteur entremêle les histoires du grand-père, de l’oncle et du père de Davidù, permettant ainsi de mieux comprendre l’héritage familial qui pèse sur ses épaules et qui le façonne au fil des années. Dans cette famille où la boxe fait office de religion, la transmission des armes qui lui permettront de s’en sortir dans la vie, s’effectue aussi à travers les conseils avisés de la grand-mère institutrice, qui lui enseigne également la force des mots dans ce monde où tout ne se résout pas forcément avec les poings.
« Le tempérament d’un boxeur ne s’exprime pas dans la furie de ses frappes mais dans la sagesse de l’attente, sa manière d’affronter l’adversaire, la distance qu’il crée et qu’il annule par sa seule volonté. Le chaos traduit seulement l’angoisse. Pendant la phase d’étude, c’est lui-même que le boxeur teste, pas son adversaire. Mon poing peut-il atteindre sa cible ? »
S’il faut un peu de temps pour s’habituer aux allers-retours incessants entre ces différentes histoires qui se font écho, le lecteur n’a besoin que de quelques pages pour s’attacher aux différents personnages qui se construisent au fil des pages et des époques. En entremêlant leurs histoires avec grande finesse, l’auteur livre non seulement une saga familiale forte, mais également une histoire d’amour poignante entre Davidù et la petite Nina. Sans oublier l’amitié bouleversante qui se tisse progressivement entre le personnage principal et le cousin de Nina, ainsi que le portrait vibrant que l’auteur dresse de sa terre natale.
« Dans la rue derrière la place, des cris, des ambulances et des sirènes de police. La bande son de Palerme. »
Le style direct et percutant de Davide Enia fait immédiatement mouche et colle parfaitement à cette Sicile violente et débordante de testostérone. Si ses mots frappent comme des coups de poings, ses phrases sont néanmoins emplies de poésie, de chaleur humaine et de cette innocence attendrissante qu’offre inévitablement le regard d’un enfant de neuf ans quel que soit la dureté de son environnement. Soulignons d’ailleurs à ce titre l’excellent travail de traduction de Françoise Brun.
Je lui ai dit : « Barbarella, je t’aime. »
Elle me fait : « Comme les grands? »
Moi : « Non, je t’aime pour de vrai. »
Un roman coup de poing que je classe parmi mes coups de cœur !