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(note de lecture) Charles Racine, Y a-t-il lieu d'écrire", Œuvres II, par René Noël

Par Florence Trocmé

Racine"L'imprévoyance lucide libère le hasard de toute doctrine et naïveté. Le désir crée ses formes, son souffle. Ses gammes, éclair ou foudre qui ordonne les mots sur la page. Ni espéré secrètement, ni divinisé, le hasard ajoute ses contrepieds et l'accent d'une syllabe, l'espace d'un silence, sans que le poète intervienne au moyen d'une trop grande passivité ou volonté. La maturité ne se décrète pas, le poète qui y dérogerait, serait-il poète ? C'est ce que le lecteur béotien conclut, détachant les lettres noires de la page. N'y a-t-il pas dans ces vers de Charles Racine, le mouvement même de l'œil qui Sisyphe voit l'envers du miroir des lettres et par un prompt courage et adresse, en un mouvement cosmique singulier, qui va selon la courbure déroutante des astres, inverse leurs rapports ? le monde humain et le monde vu par tout autre que l'homme - animal, végétal, minéral, élément, matière invisible -.
Car il n'y a pas d'habitude, il n'y a pas de rapport - il y a le familier d'emblée. La poésie crée à nature constante, le singulier - fût-il Homère, Shakespeare, Hugo, Maïakovski à l'écoute lui-même, des rhapsodes - glacier de langue commune, les poèmes, moraines lucides de la langue. Celui qui lit, écrit, sur le même plan que celui qui découvre l'écrit et n'écrit lui-même jamais, sont étonnés. Autrement !?, mais sans doute non moins que Charles Racine lui-même dès l'adolescence, clairement et décisivement, autant qu'après s'être éloigné de la notoriété, de l'édition. La force - force natuelle des éléments, de la nuit et de la lumière, des torrents - de son désir conduit l'invisible et les possibles écrits, mitoyens. Le poète vit les créations non pas finies, mais en dialogue avec l'interminé, non pas absolues, mais aussi affirmatives qu'hésitantes, les formes et les matières autant que le chaos, avançant leurs hypothèses, leurs images réciproques et respectives. La poésie n'est plus générique, substitut du mythe, ni métonymie, ni synecdoque, elle expose ses partis-pris et les objections singulières, circonstancielles de la nuit du cosmos. Elle ne nomme pas unilatéralement, mais approfondit l'aptitude de la vie à côtoyer le néant, le chaos et la forme solidaire de ses accidents, de ses évolutions.
L'éloge de la jeunesse n'est-t’il pas cette redite conformiste du theologos ? le poète vit sans elle et hors d'elle, plus attentif aux secondes-siècles qu'il unit et distingue tout au long de sa vie - débordé par l'ouvrage ou étranger à lui lorsque celui-ci rétif prend le large, l'observant alors de loin avec sympathie mais sans autre dépit ou convoitise, il n'a pas le loisir de classer, distinguer, trier, entre les âges de la vie, l'ordinaire et l'extraordinaire - avec le théodolite, le sextant, la fusion des soleils à froid, sa raison et ses délires nocturnes, rêves constants d'explosions et d'implosions où toutes chimies essaient, tentent ce qu'elles ne sont pas. A tant dépenser et tant à penser, brassées d'or mental laissées en jachères, qu'il vit l'âge futur de l'homme déjà apte à créer à partir de son propre souffle les espèces concrètes de ses plants mentaux, géologies psychiques de sa vie qu'il greffe, si bien qu'il n'a pas plus d'âge que d'opinions, d'inclinations hautes ou basses, n'étant ni d'extraction mélancolique, ni euphorique, mais trouvère, trouveur de mots-sensations, passionné de transmettre l'intransmissible, la parole vive avec les images de l'œil devant soi. Œil mental, œil physique, œil qui crée les terrasses, les courbes de niveaux, loin du hors-sol, le poète ne cesse de créer depuis et d'après l'actualité de la civilisation dont il est une pierre, une fougère selon les instants conjugués de sa vie. Œil qui n'est pas nécessairement œil, mais tout autre sens. Le partage mutique, l'apocalypse eux-mêmes, ne sont pas l'arrêt du convoi terminal (l'imagination voyant plus loin, ères et terres nouvelles... sans s'abaisser aux superstitions), mais ces à-coups familiers vêtus de nuages, toutes clartés mentales transmises avec les aléas des nuages, du vent sur la peau, matières composites des mots. Transits et transitions infinis.
Charles Racine a commencé à construire son nom, et je me souviens d'une identité véritable qu'il composait, où figurait rocher écrit Guez Ricord (1), l'ami essentiel qui lui aussi conjugue le verbe et la matière dans le creuset du poème d'une façon inouïe. Si bien qu'aucun prosateur, fût-il Guyotat, promoteur de l'art pour l'art depuis 1945, n'atteint cette profondeur où autant le fond que la forme, lettres, syllabes, mots, signes et sens historisés se subvertissent l'un l'autre ainsi que ce livre, second des trois volumes de ses œuvres rassemblées, l'écrit noir sur blanc, à travers ces écrits de 1942 à 1968.
René Noël

Charles Racine, Y a-t-il lieu d'écrire, Œuvres II, édition établie par Frédéric Marteau et Gudrun Racine, Notice éditoriale, Frédéric Marteau, éditions Grèges
Chritian Gabriel/le Guez Ricord, L'A venturée, édité par Chritian Le Mellec, B. Mialet, Chritian Estèbe, Librairie du Sud, Marseille, 1994


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