et tandis que c’est
là
une présence venue de loin
qui
te
regarde
et
pour finir
qui te
soulage
comme te soulagerait
la discrète proximité
d’un compagnon de bagne
que tu te serais inventé
mais rien rien
rien de bien
mystérieux
là-dedans
le noir est simple
comme le bon vin
c’est comme un souffle qui s’avance
à travers le blizzard au moment où l’on s’apprête
à reconnaître un visage familier
ou encore
la lumière sauvage en son point d’eau
(le noir vois-tu ne manque pas de métaphores)
noir ce noir de paupières closes
noir ce noir élégiaque
appliqué à même la toile
au rouleau au pinceau
jeté comme ça peut
dévoilant au hasard quelques
formes sommaires
qu’il recouvre pourtant
maldoror est noir
comme est noir l’ostrogoth
quand sade est si pauvrement vert
de même que le sacrement
discipline est jaune de bile
quant à rigueur
il est rouge d’apoplexie
désordre est noir tout noir
de même que chaos
dehors est d’un beau noir très ample
tirant un peu sur le bleu
noir le pas tranquille de mon cheval
dans ma montagne afghane
noir le khôl
de la beauté
sous l’envol des fusées
aucune noirceur dans ce noir-là
rien d’excessif non plus
c’est un champ où
rien ne manque
parfait équilibre du noir
paix de la complétude
pas de ce noir qui accable la lune
et fait naître l’obscur
pas de ce noir du noir des consciences noires
non non
rien de tel
vraiment
noir ce noir de portes qui claquent
la vie passe par
là
avec ses courants d’air
lugubre cérémonial de qui veut se débarrasser
du noir
le noir ça se mérite
le noir ça se médite
à contempler comme il advient
advient sans cesse
ne cesse d’advenir
il faut sans doute
approfondir le noir
comme le vieux paysan
ritournelle son
sillon
sans jamais lever les yeux
jusqu’à ne faire qu’un
avec le poids de la terre
retournée
à pas d’indien
toujours
arrive le noir
comme une visitation muette
il se glisse dans la pièce
et tout à coup c’est
là
ultime de présence
tu fais comme si tu ne t’apercevais de rien
bien sûr
car on dit que le noir
en de certains soirs
est susceptible de rendre
fou
pour ma part je n’en crois rien
mais sait-on jamais
(sur le noir tant de bêtises proférées)
ou parfois le contraire
il te semble que le noir
a toujours été là
sous un aspect ou un autre
qui ne nous le laissait pas connaître
autrement que par de certaines
vibrations atmosphériques
il n’a tenu qu’à toi
de le révéler tel
l’éveil au noir
comme un envol de signes sauvages
aux premières neiges du moine calligraphe
le noir n’existe pas
il est le nom que tu donnes
à la résistance du monde
sa stance
son tonos
peut-être n’as-tu peins le tableau
que pour la présence de ce noir
et ce regard par dessus ton épaule
qui contiendrait les multitudes
que sais-tu des multitudes
le noir lui
sait
le noir funambule et
précaire
comme une œuvre que l’esprit
s’acharnerait à tort à vouloir
compléter
comme utilement il complète lui-même
toute écriture
et la conduit paisiblement vers l’indéchiffrable
qui seul est sa juste
demeure
le
noir
dans sa débusque de lumière
rien de plus humain que le noir
de plus joueur
un humain qui serait ouvert
à tout ce qui l’excède
comme suspendu un court instant
au fil irrattrapé de la vie
reste là face au noir
longuement
longuement
à te demander
de lui ou de toi
qui sera le premier
à rompre ce tête-à-tête
-- et j’entends dans le noir
cette rumeur d’aube fraîche et de
caravanserai
Gérard Larnac septembre 2016.