– Je crois que tu m’as cassé le nez.
Le ciel revient lentement au bleu et sous ses omoplates, Ève sent que la terre a cessé de tanguer. Elle se redresse, d’abord juste la nuque, ensuite le dos qu’elle soulève et tient au bout de ses deux coudes repliés. Elle cligne des yeux. Le paysage se recompose, l’arbre, le grand fleuve, Adam, étendu, la tête renversée, recouverte d’un flot de sang qui coule sur son visage, descend le long de son cou et disparaît dans une zone d’ombre accrochée à l’arrière de sa nuque.
– Mon nez, je crois qu’il est cassé. Et ce truc rouge m’empêche de respirer.
– Adam, je suis désolée.
– En plus, ça colle.
– Ne bouge pas, je vais chercher de l’eau.
– Non, c’est moi qui vais y aller.
Adam se lève et marche vers le grand fleuve d’un pas mal assuré. Arrivé sur la berge, il s’étend à plat ventre. Il plonge sa tête dans le courant. Toujours allongée, Ève le voit ainsi en perspective écrasée, les orteils plantés dans le sol, la paume des pieds, le dos des jambes, le tracé sinueux de la colonne vertébrale qui s’efface à la frontière des épaules et au-delà ce creux, ce vide qui d’un seul coup se remplit d’une gerbe de gouttes claires alors qu’un faisceau de boucles dorées fouette l’air placide de ce début d’après-midi. Adam reprend son souffle, enfouit à nouveau son visage dans l’onde calme, répète l’opération, plusieurs fois. Enfin, il s’ébroue, se redresse, vient s’allonger à côté d’Ève, laisse le soleil sécher son épiderme et les ailes de son nez froissé.