Difficile naissance à soi

Par Carmenrob

Trois cents ans de silence. Mais d’un silence qui nous parle. Qui nous ébranle, même. Voilà ce que nous propose Patricia Smart dans De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime. Partie de l’idée de faire l’histoire de l’autobiographie féminine dans la littérature canadienne-française, force lui fut de constater que le projet était impossible. Entre le 17e et le 20e siècle, elle n’en trouva aucune. Le corpus était plutôt constitué de correspondances, de journaux intimes échappés à l’oubli, et plus tard, au début du 20e siècle, des premiers romans signés par des femmes, des premiers articles dans les pages féminines des journaux.

Dès le mitan du XIXe siècle, les pressions exercées pour enfermer les femmes dans le carcan d’un rôle qu’on en viendra peu à peu à désigner par l’expression «reine du foyer» augmentent. Le rôle de la femme fera l’objet de sermons, de mandements d’évêques et d’articles journalistiques, parmi lesquels ceux du petit-fils de Julie Papineau, Henri Bourassa, seront certains des plus virulents.

Trois cents ans de silence donc, de murmures, tout au plus, avant le coup de canon que fit entendre l’autobiographie de Claire Martin, Dans un gant de fer. Une première, qui allait décrire la violence physique et psychique qui avait marqué son enfance et sa jeunesse et tracer un portrait sans concession  d’une société qui avait dénié toute individualité aux femmes. C’était après la Révolution tranquille.

«Nous n’avions pas droit à la culture, ni la spécialisée, ni la générale. Mais les maternités annuelles, les nuits blanches, les jours noirs, les allaitements, les lessives, la cuisine et pour finir l’éclampsie ou les fièvres puerpérales, rien à dire. Vocation féminine.» 

Savant sans être pédant, cet essai se lit comme un roman. Le roman de la prise de parole des femmes qui ont mis trois cents ans à secouer la chape de plomb qu’avait fait peser sur elle le poids combiné de l’autorité patriarcale et du clergé. Et l’intériorisation des interdits par les femmes elles-mêmes, relayées par les mères et les religieuses.

Un long chemin de libération qui n’est pas terminée comme en témoigne le suicide de Nelly Arcan, prisonnière des images archétypales qui collent à la femme, dans son cas, celle de la putain. Du déni du corps à son hyper exposition, à son hyper sexualisation, on peut y voir un retour de balancier qui n’est peut-être rien d’autre que les deux faces d’une même médaille. Et que la femme n’a pas fini de conquérir son autonomie, notamment au moyen de l’écriture.

Vraiment, une lecture passionnante, bouleversante. Et qui donne envie de pousser un cri d’alerte : rien n’est jamais définitivement acquis. Des sociétés ont fait le chemin à rebours vers un terrible déni du droit des femmes. Le passé éclaire le présent et le présent nous enseigne que le passé ne l’est pas toujours entièrement.

Patricia Smart, De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime, Boréal, 2014, 430 pages