Le quinquennat a creusé la sape. Les cyniques n'ont plus qu'à louer ses parrains: compliments M. Chirac ! — dernier de nos rois-fainéants —, tellement apprécié des Français depuis qu'il n'a, pour de bon, plus rien à faire. Compliments de même M. Jospin ! — Premier ministre de cohabitation, pur comme un cathare, et père des losers de la gauche hors-sol face à la maison Le Pen.
Ce raccourcissement mal pensé du mandat présidentiel, et son stupide accolement aux élections législatives, a pulvérisé en pratique la subtile diarchie conçue par De Gaulle pour le sommet de l'État : à la pointe, un président-monarque, fort de l'onction populaire et de la longueur relative de son mandat, préservé de la gestion du quotidien pour mieux assurer la cohésion de la nation dans ses diverses composantes, et la représenter à l'extérieur avec force et dignité. A l'étage du dessous, mais sans pour autant qu'il soit un vulgaire «collaborateur», un premier-ministre chef du gouvernement, maître au quotidien des affaires domestiques du pays et responsable devant le parlement — d'où ces possibles «cohabitations», qui n'ont pas si mal fonctionné, quoi qu'on en ait dit.
L'instauration du quinquennat, en outre et comme il fallait s'y attendre, a précipité la France dans l'hystérie d'une campagne électorale permanente, qu'aggrave désormais cette pitoyable invention des «primaires» : les chefaillons, tous contestés peu ou prou, de ce qu'on ne risque même plus d'appeler des partis, chauffent leurs affidés et leurs clients dès le lendemain de la dernière élection, et ne passent plus leur temps qu'à échafauder les chausse-trappes où tomberont leurs adversaires — c'est-à-dire avant tout leurs «amis» concurrents —, et à se protéger de celles qu'on leur tend. Comment s'étonner de l'indigence de leurs programmes, du vide sidéral de leur pensée politique, de leur absence de vision collective, de leur démagogie ?
Le premier a insulté la fonction présidentielle comme jamais, sur le fond comme sur la forme. Il a creusé les sillons de la discorde intérieure, cassé ce qu'il restait du jeu diarchique, fourvoyé la nation dans des désordres internationaux aux conséquences tragiques, installé au sommet de l'État l'image de la vulgarité et de l'intempérance. Le deuxième était censé remettre un peu de ciment dans le gros œuvre fissuré ; contre toute attente, il a clivé à son tour comme jamais. Au moins a-t-il été à la hauteur de ce que son personnage laissait pressentir, à savoir une totale inaptitude aux fonctions présidentielles, par l'incompétence, l'irrésolution, l'absence d'autorité et de crédibilité, la débilité de sa personnalité, et pour tout dire son ridicule — qui, hélas, nous fait honte face au monde. Deux figures grotesques qui resteront dans l'Histoire les ultimes fossoyeurs du régime gaullien.
Ce régime avait eu pourtant le mérite exceptionnel d'instituer, et de faire fonctionner au quotidien malgré les aléas, l'inespérée synthèse entre les vertus de l'Ancien régime — stabilité et rémanence du «pouvoir», incarné par un monarque, primus inter pares désigné non plus par la naissance mais par le plébiscite, à la fois garant de l'unité de la nation et sa représentation vivante — et celles d'une république enfin stabilisée, apaisée et forte, dévouée au bien commun et non plus à celui des «privilégiés», démocratique autant qu'il est possible, sous la garantie d'un authentique régime parlementaire. Une Grande-Bretagne, en quelque sorte, les fastes et turpitudes de la famille royale en moins...
Le spectacle affligeant de ces pauvres «primaires» de la droite, auxquelles succèderont celles, non moins burlesques, de la «gauche de gouvernement» (sic), ne fait que confirmer le constat du séisme : l'écroulement du régime est accompli, saccagé par ses prébendiers, leurs ambitions d'épiciers et leurs bricolages autodestructeurs. Tous ces nains ivres de suffisance — on voit s'inviter des Copé, des Baylet, des Poisson, des Filoche !... —, osant s'assimiler à la fonction présidentielle, l'insultent et la rabaissent définitivement. Mais quand un Coluche a pu, en son temps, s'immiscer sans rire dans le jeu, tandis que son sosie de la promotion Voltaire, en 2012, a bel et bien réussi, lui, à se glisser dans la place entre deux blagounettes et cent mensonges, de quoi s'étonner encore ?
Sans doute aussi peut-on vivre dans l'instabilité — nous en savons quelque chose, nous Français ! D'ailleurs nombreux sont les inconséquents, notamment à gauche, prêts à jeter au feu les institutions actuelles, qu'ils ont participé à dévoyer, pour l'avantage de s'inventer une «VIème République» à leur taille, dont on pressent bien la familiarité avec la velléitaire IVème République — n'est-ce pas M. Montebourg ? Prenons garde de traiter cette frivolité à la légère : si De Gaulle s'est imposé dans la tempête — et parce qu'il y a eu la tempête —, l'effondrement de l'ordre qu'il a mis en place survient lui-même, aujourd'hui, dans une période de très grands troubles, autrement plus menaçants pour la survie nationale que les événements de la période 1958-1962.
C'est en regard de ces dangers nouveaux, d'une gravité sans précédent, qu'il faut mesurer les conséquences de l'effondrement programmé du régime.
De fait, sous les effets concomitants d'une foi superstitieuse dans le libéralisme intégral, du primat accordé à la finance sur l'économie réelle et, au bout d'une logique folle, du diktat de la «mondialisation», imposée aux peuples par de grands groupes prédateurs et apatrides — aidés en cela par leurs faux-nez des institutions politiques, de la haute administration, de la presse mainstream, et des instances régulatrices internationales (FMI, OMC, Banque mondiale...) —, un clivage nouveau et radical est apparu dans nos sociétés : à l'adret, les bénéficiaires de ce capitalisme new style, vrais «privilégiés» des temps modernes (bourgeoisie des métropoles urbaines, diplômée, connectée, détentrice du patrimoine immobilier...) cooptant en son sein les
Les classes «laborieuses» et intermédiaires, tous ces «petits Blancs» méprisés par la bourgeoisie des beaux quartiers et les alchimistes ayant cru transmuter le socialisme en sociétalisme, se rappellent donc à nos bons soins. Ils finissent par constituer, en France comme dans le reste du monde développé, des forces de moins en moins inorganisées, en dépit de leur caractère disparate, et de plus en plus imperméables aux stigmatisations ou aux injonctions morales des bien-pensants trop bien nantis. Ces forces, prochainement, pourraient-elles faire sauter certains verrous des jeux électoraux «républicains», si judicieusement placés pour les maintenir exclues des lieux de décision ? Voire, seraient-elles à même d'agréger les colères et les frustrations des «édentés» du fond de cale, jusqu'à faire exploser physiquement un ordre social déglingué ? Ces craintes — autant dire la peur de se faire casser la gueule — auraient-elles été le stimulus décillant les yeux de notre magazine de référence ? Comme un début de sagesse en quelque sorte. Après tout, mieux vaut tard que jamais...
C'est dans ce contexte national et international, éminemment explosif, qu'il faut maintenant observer les petits jeux des petits chefaillons fienteux de nos deux basses-cours politiques. Et apprécier à leur juste valeur les risques que ces médiocres font courir, à travers le dévoiement des institutions, au pays tout entier.
La Vème République, elle, ils l'ont déjà bousillée !...