Magazine Culture

« Ça va craquer ? »

Par Pseudo

5 Rép.pngOn en est sûr aujourd'hui : la Vème République va s'effondrer.

Le quinquennat a creusé la sape. Les cyniques n'ont plus qu'à louer ses parrains: compliments M. Chirac ! — dernier de nos rois-fainéants —, tellement apprécié des Français depuis qu'il n'a, pour de bon, plus rien à faire. Compliments de même M. Jospin ! — Premier ministre de cohabitation, pur comme un cathare, et père des losers de la gauche hors-sol face à la maison Le Pen.

Ce raccourcissement mal pensé du mandat présidentiel, et son stupide accolement aux élections législatives, a pulvérisé en pratique la subtile diarchie conçue par De Gaulle pour le sommet de l'État : à la pointe, un président-monarque, fort de l'onction populaire et de la longueur relative de son mandat, préservé de la gestion du quotidien pour mieux assurer la cohésion de la nation dans ses diverses composantes, et la représenter à l'extérieur avec force et dignité. A l'étage du dessous, mais sans pour autant qu'il soit un vulgaire «collaborateur», un premier-ministre chef du gouvernement, maître au quotidien des affaires domestiques du pays et responsable devant le parlement — d'où ces possibles «cohabitations», qui n'ont pas si mal fonctionné, quoi qu'on en ait dit.

L'instauration du quinquennat, en outre et comme il fallait s'y attendre, a précipité la France dans l'hystérie d'une campagne électorale permanente, qu'aggrave désormais cette pitoyable invention des «primaires» : les chefaillons, tous contestés peu ou prou, de ce qu'on ne risque même plus d'appeler des partis, chauffent leurs affidés et leurs clients dès le lendemain de la dernière élection, et ne passent plus leur temps qu'à échafauder les chausse-trappes où tomberont leurs adversaires — c'est-à-dire avant tout leurs «amis» concurrents —, et à se protéger de celles qu'on leur tend. Comment s'étonner de l'indigence de leurs programmes, du vide sidéral de leur pensée politique, de leur absence de vision collective, de leur démagogie ?

copy Reuters.jpg
Sur ce terreau, l'insigne médiocrité des successeurs de M. Chirac a achevé la bête : compliments M. Sarkozy ! Compliments M. Hollande !

Le premier a insulté la fonction présidentielle comme jamais, sur le fond comme sur la forme. Il a creusé les sillons de la discorde intérieure, cassé ce qu'il restait du jeu diarchique, fourvoyé la nation dans des désordres internationaux aux conséquences tragiques, installé au sommet de l'État l'image de la vulgarité et de l'intempérance. Le deuxième était censé remettre un peu de ciment dans le gros œuvre fissuré ; contre toute attente, il a clivé à son tour comme jamais. Au moins a-t-il été à la hauteur de ce que son personnage laissait pressentir, à savoir une totale inaptitude aux fonctions présidentielles, par l'incompétence, l'irrésolution, l'absence d'autorité et de crédibilité, la débilité de sa personnalité, et pour tout dire son ridicule — qui, hélas, nous fait honte face au monde. Deux figures grotesques qui resteront dans l'Histoire les ultimes fossoyeurs du régime gaullien.

Ce régime avait eu pourtant le mérite exceptionnel d'instituer, et de faire fonctionner au quotidien malgré les aléas, l'inespérée synthèse entre les vertus de l'Ancien régime — stabilité et rémanence du «pouvoir», incarné par un monarque, primus inter pares désigné non plus par la naissance mais par le plébiscite, à la fois garant de l'unité de la nation et sa représentation vivante — et celles d'une république enfin stabilisée, apaisée et forte, dévouée au bien commun et non plus à celui des «privilégiés», démocratique autant qu'il est possible, sous la garantie d'un authentique régime parlementaire. Une Grande-Bretagne, en quelque sorte, les fastes et turpitudes de la famille royale en moins...

Le spectacle affligeant de ces pauvres «primaires» de la droite, auxquelles succèderont celles, non moins burlesques, de la «gauche de gouvernement» (sic), ne fait que confirmer le constat du séisme : l'écroulement du régime est accompli, saccagé par ses prébendiers, leurs ambitions d'épiciers et leurs bricolages autodestructeurs. Tous ces nains ivres de suffisance — on voit s'inviter des Copé, des Baylet, des Poisson, des Filoche !... —, osant s'assimiler à la fonction présidentielle, l'insultent et la rabaissent définitivement. Mais quand un Coluche a pu, en son temps, s'immiscer sans rire dans le jeu, tandis que son sosie de la promotion Voltaire, en 2012, a bel et bien réussi, lui, à se glisser dans la place entre deux blagounettes et cent mensonges, de quoi s'étonner encore ?

montorgueil.jpg
Que le régime s'écroule, après tout, la France en a vu d'autres. Sans doute peut-on pleurer de rage en voyant gâchée cette chance exceptionnelle d'avoir raccroché la France contemporaine, laïque et républicaine, à son Histoire millénaire, que De Gaulle avait saisie au détour de circonstances tragiques, et par le moyen d'institutions originales. Cela restera donc autant d'occasions ratées : occasion improbable de greffer l'émancipation populaire, née de la Révolution, sur l'antique tronc féodal qui avait fait du pays l'un des plus vieux et des plus brillants du monde — quelles que fussent les vicissitudes ; occasion heureuse de renouer les unes aux autres, sans exclusive, les vertus patriciennes et plébéiennes qui, chacune à sa façon, avaient apporté leur génie à la communauté ; occasion en somme de réconcilier le pays avec son ADN, son intégrité, en lui faisant retrouver la mémoire de sa longue vie, et en accepter chaque époque et chaque apport, heureux ou malheureux, comme les strates d'une sédimentation continue solidifiant le socle actuel. Même s'il ne s'agissait que d'institutions politiques — parce qu'il n'y a pas lieu non plus d'en sacraliser la nature —, un tel régime avait l'immense mérite d'offrir un cadre de stabilité au gouvernement de ce pays turbulent, à la fois unitaire (continuité du jacobinisme révolutionnaire et de l'ancien imperium royal) et composite.

Sans doute aussi peut-on vivre dans l'instabilité — nous en savons quelque chose, nous Français ! D'ailleurs nombreux sont les inconséquents, notamment à gauche, prêts à jeter au feu les institutions actuelles, qu'ils ont participé à dévoyer, pour l'avantage de s'inventer une «VIème République» à leur taille, dont on pressent bien la familiarité avec la velléitaire IVème République — n'est-ce pas M. Montebourg ? Prenons garde de traiter cette frivolité à la légère : si De Gaulle s'est imposé dans la tempête — et parce qu'il y a eu la tempête —, l'effondrement de l'ordre qu'il a mis en place survient lui-même, aujourd'hui, dans une période de très grands troubles, autrement plus menaçants pour la survie nationale que les événements de la période 1958-1962.

C'est en regard de ces dangers nouveaux, d'une gravité sans précédent, qu'il faut mesurer les conséquences de l'effondrement programmé du régime.    

capture d'écran Euronews.jpg
Il y a d'abord ces formidables mises en branle de populations, déracinées, forçant les frontières de l'Europe qu'elles prennent pour l'Eldorado, et dont on ne sait plus si elles fuient simplement la misère, la guerre, le despotisme — malheurs auxquels nous concourons plus souvent qu'à notre tour —, ou si elles se précipitent chez nous comme en terre de razzia, voire de conquête, légitimant qu'on les assimile alors aux grandes invasions destructrices de Rome. Car l'Union européenne, si mal baptisée en l'occurrence, en révélant son incohérence, son impuissance à régler la question, met effectivement en danger sa cohésion, jusqu'à risquer l'éclatement plus encore que sous l'épreuve de la crise monétaire ou du Brexit. En dépit des paroles lénifiantes de nos maîtres du jour, nationaux et européens, reprises en mantras par les perroquets du politiquement correct — presse formatée, associations vertueuses, les unes et les autres carburant à la subvention —, cette crise est bien la plus grave que nous ayons connue depuis la Seconde Guerre mondiale, et peut infléchir durablement le destin du continent, son art de vivre, sa paix, et engloutir sa civilisation...

copy Frank Perry - AFP.jpg
Il y a de même le danger récurrent du fondamentalisme islamique, face auquel nous mesurons à quel point notre pays est désarmé — à l'instar de beaucoup d'autres Européens —, les fanatiques se nichant au cœur de nos sociétés, dans les replis laissés en jachère par la république. Jachères embroussaillées encore par la complaisance d'élites dégoûtées ou ignorantes de l'héritage national, par la haine de soi de Français «de souche» convaincus de leur indignité et de leur culpabilité d'homme blanc, européen, chrétien, «colonisateur», et par le clientélisme effréné de politiciens à la fois corrompus et corrupteurs, notamment dans les banlieues désertées par les populations indigènes. Et immanquablement, la menace constante que fait courir le terrorisme islamique se voit renforcée par les désordres de la crise migratoire, que les djihadistes entendent exploiter opportunément sur notre sol...

copy AFP.jpg
Et puis, pire peut-être que les deux menaces précédentes, il y a cette inconcevable information que les médias de bon ton viennent seulement de découvrir, après des années de déni la tête dans les nuages : depuis plus de trois décennies, dans le monde en général, dans les pays développés en particulier, les inégalités sociales explosent. La minorité des dominants et des bien-placés accapare toujours plus ressources et patrimoine ; à l'opposé celle des hors-caste s'enfonce toujours plus dans la pauvreté et l'indignité, en dépit de ce qu'il reste d' «assurances sociales» ; entre les deux la masse hétéroclite des «classes moyennes», agent de la société occidentale moderne, rompt pour la première fois avec le modèle de promotion sociale continue de génération en génération, confrontée désormais au risque bien réel du déclassement, de l'appauvrissement, de la précarité, et à la conviction, scandaleuse pour elle, que les enfants vivront moins bien que les parents.

De fait, sous les effets concomitants d'une foi superstitieuse dans le libéralisme intégral, du primat accordé à la finance sur l'économie réelle et, au bout d'une logique folle, du diktat de la «mondialisation», imposée aux peuples par de grands groupes prédateurs et apatrides — aidés en cela par leurs faux-nez des institutions politiques, de la haute administration, de la presse mainstream, et des instances régulatrices internationales (FMI, OMC, Banque mondiale...) —, un clivage nouveau et radical est apparu dans nos sociétés : à l'adret, les bénéficiaires de ce  capitalisme new style, vrais «privilégiés» des temps modernes (bourgeoisie des métropoles urbaines, diplômée, connectée, détentrice du patrimoine immobilier...) cooptant en son sein les 

copy Olivier Roller.jpg
décideurs politiques, les faiseurs d'opinion et de normes culturelles ; à l'ubac, ceux que le jeu exclut, ou dont il se sert comme ressource servile aléatoire, faute d'atouts pertinents (classes moyennes ou populaires, banlieusards, ruraux, jeunes sans diplôme, immigrés...). Ceux que le géographe Christophe Guilluy appelle si justement «la France périphérique» — et que nos «élites» ignorent ou moquent, tel un François Hollande et ses «édentés», une Hillary Clinton et ses «pitoyables», ou un Emmanuel Macron et ses «illettrées»... Quant aux médias, ceux du bon goût, propagateurs de l'idéologie des dominants — ce qui est bien naturel, s'agissant de leurs propriétaires —, ils n'arrivent à distinguer, nichés dans ces groupes sociaux, que d'inquiétants «populistes», imprécateurs de «l'extrême» ou autres «mal votants».

L'Obs.jpg
A ce propos, faisons part de notre ébahissement : un des plus élégants porte-voix de la gauche mondaine — grande famille installée côté adret —, dans sa dernière édition, vire soudain sa cuti en «découvrant» cette formidable césure sociale, dont il fait sa couverture sous le titre-choc «Ça va craquer !» (titre qu'emprunte, avec un rien de jubilation, la présente note). Ainsi donc, deviennent audibles tout à coup les chercheurs qui s'appliquent à étudier ce phénomène depuis plusieurs années, mais dont on ne semblait pas percevoir les discours. Ou mieux, que l'on s'employait parfois à dénigrer avec une condescendance d'aristocrate — se rappeler l'accueil fait par cette aristocratie au malheureux Guilluy, quand il avait eu le toupet de sortir, en 2014, sa remarquable «France périphérique» (accueil évoqué ici dans ce blog). Faut-il qu'une telle «révélation» panique désormais la caste nantie — gauche, droite et centre mêlés — pour qu'un fleuron de sa presse magazine produise, en forme d'alerte fébrile, un dossier promouvant les travaux d'un Louis Chauvel («La Spirale du déclassement», le Seuil), de l'ex-mal aimé Guilluy, déjà cité («Le Crépuscule de la France d'en haut», Flammarion), ou faisant appel, entre autres, à Thomas Piketty ou au Nobel d'économie Joseph Stiglitz ?

Les classes «laborieuses» et intermédiaires, tous ces «petits Blancs» méprisés par la bourgeoisie des beaux quartiers et les alchimistes ayant cru transmuter le socialisme en sociétalisme, se rappellent donc à nos bons soins. Ils finissent par constituer, en France comme dans le reste du monde développé, des forces de moins en moins inorganisées, en dépit de leur caractère disparate, et de plus en plus imperméables aux stigmatisations ou aux injonctions morales des bien-pensants trop bien nantis. Ces forces, prochainement, pourraient-elles faire sauter certains verrous des jeux électoraux «républicains», si judicieusement placés pour les maintenir exclues des lieux de décision ? Voire, seraient-elles à même d'agréger les colères et les frustrations des «édentés» du fond de cale, jusqu'à faire exploser physiquement un ordre social déglingué ? Ces craintes — autant dire la peur de se faire casser la gueule — auraient-elles été le stimulus décillant les yeux de notre magazine de référence ? Comme un début de sagesse en quelque sorte. Après tout, mieux vaut tard que jamais...

La Haine.jpg

C'est dans ce contexte national et international, éminemment explosif, qu'il faut maintenant observer les petits jeux des petits chefaillons fienteux de nos deux basses-cours politiques. Et apprécier à leur juste valeur les risques que ces médiocres font courir, à travers le dévoiement des institutions, au pays tout entier.

La Vème République, elle, ils l'ont déjà bousillée !...


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pseudo 17 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte