Il semblerait que certains d'entre vous se sont aperçus d'une baisse de régime dans mes publications et s'en inquiètent. Je les remercie de cette sollicitude. Qu'ils se rassurent, je lis toujours beaucoup, et avec attention. Lectures éclectiques : à quoi sert la littérature si elle ne nous donne pas une appréhension de l'humaine condition ? Aucune nouveauté, le cirque médiatique de rentrée me lasse un peu.
J'ai lu une enquête du commissaire Brunetti, la 20 e, et comme chaque fois je me suis demandé pourquoi on considérait Donna Leon comme un auteur de romans policiers, tant la mort suspecte de départ sert avant tout à nous faire pénétrer dans l'arrière-cour de Venise. Impossible de ne pas penser à James Lee Burke, dont les enquêtes de Dave Robicheaux, son flic épuisé, servent surtout à magnifier la Louisiane. Livres atmosphère, livres d'écrivains, la poésie en plus en ce qui concerne James Lee Burke. La littérature, c'est un croisement de livres, un enrichissement, d'auteur en auteur, de la palette humaine.
Je me suis plongée dans les arcanes de la naissance des services français sous Louis XV, Le Secret du roi de Gilles Perrault. Trois gros pavés écrits d'une plume alerte, mais tout sauf un travail d'historien ou d'écrivain. Quelque chose comme du Dumas du vingtième siècle, avec moins de talent et beaucoup de coulisses de l'histoire, alcôves et batailles en sus. Je n'ai pas tout lu, c'est trop touffu ; j'y reviendrai par moments, car c'est drôle et instructif, et la délectation de l'auteur pour les détails croustillants et les faits divers ressemble à la nôtre : assumons cet aspect de l'humaine condition !
Je me suis perdue dans les dessins superbes d'un manga écrit par Camille Monlin-Dupré, une œuvre graphique comme une succession d'estampes. Magnifique : beauté, voyage dans le Japon du XIX e siècle et poésie vous attendent dans ce petit livre inclassable. Le Voleur d'estampes est un animateur de rêves. Ne vous privez pas de cette merveille sous prétexte que c'est un manga, c'est avant tout la première œuvre d'un jeune surdoué bien dans son époque, entre cinéma, jeux vidéo et manga. Un talent à suivre...
Enfin je suis revenue en France avec Philippe Delerm, avec Je vais passer pour un vieux con. On peut dire, bien sûr, que Delerm joue toujours la même musique, l'attention aux êtres, aux détails, aux phrases cent fois entendues dans la rue ou à la télévision. Mais l'exactitude, la précision portées à l'infiniment petit rejoignent souvent l'humaine nature, petite touche de cruauté, de tendresse ou d'humour en sus. Et parfois, alors qu'on ne s'y attend pas, une indicible nostalgie nous poigne le cœur, comme dans la conclusion de " J'ai fait cinq ans de piano " :
Bien sûr, on entend quelquefois " J'ai fait cinq ans de guitare, cinq ans de football, ou cinq ans de gymnastique ". Mais beaucoup plus souvent : " J'ai fait cinq ans de piano ".
Comme si dormaient dans ces sept mots tous les secrets des émotions qu'on n'a pas su atteindre, ou provoquer. Comme si un pouvoir s'était douloureusement refermé, la clé perdue d'une porte inconnue. J'ai essayé un peu, mais les jours sont étroits.
J'ai lu, donc, mais je n'avais plus envie d'écrire une chronique pour chaque livre. Cela me prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie, et au bout du compte, chacun croque à la va-vite quelques phrases dans mon texte. À part quelques fidèles qui laissent un message (ce sont d'ailleurs des blogueurs qui savent le travail sous-jacent), aucun écho, pas un caillou pour ricocher à la surface de mes textes et animer l'onde lisse. Moment de découragement. Sans doute parce que les lecteurs n'ont pas la curiosité d'aller voir sur amazon.fr si les livres que j'écris pourraient leur convenir et mériteraient d'être lus. La presse ne s'occupe que des locomotives, c'est bien connu, on ne prête qu'aux riches. Les autres ne peuvent trouver leur place que par le bouche à oreille. Je dis aux lecteurs qui ont aimé mes livres (si, si, il y en a, je vous assure) de les offrir ou de les faire partager, mais il semble qu'on ne peut pas concurrencer la bouteille de vin ou la boîte de chocolat. Dommage. J'offre volontiers les livres que j'aime, peut-être devrais-je revenir à plus classique.