Camille me reçoit dans son atelier, à Paris. L’endroit est calme : de grands panneaux, des plaques de cuivre, des burins une odeur d’encre, voilà l’univers de Camille.
Bonjour Camille, comment devient-on artiste graveur ?
Un peu par hasard… Après mon bac, j’ai voulu suivre une formation d’art appliqué – à l’époque, je me destinais à l’illustration de livres pour enfants. J’ai intégré l’école Estienne – école supérieure des arts et industries graphiques de Paris (la plus réputée, note d’Artetvia) et là-bas, je me suis très vite rendu compte que tout n’était pas fait pour moi. L’école propose quatre enseignements traditionnels en lien avec le livre : reliure, illustration, gravure et typographie. Quand je suis entrée à l’atelier de gravure, ça a été une révélation : c’est ce que je voulais faire. L’odeur de vernis, l’ambiance d’atelier, le métier. Je me suis tout de suite sentie bien. Diplômée en 2009, j’ai poursuivi ma formation pendant un an chez René Tazé, imprimeur taille-doucier et maître d’art. Après, je suis partie voyager.
Voyager ?
Oui, j’ai obtenu une bourse de la Mairie de Paris pour aller au Mexique – pays reconnu pour sa gravure sur bois –, puis, grâce à la fondation Marc de Montalembert, j’ai suivi les pas de saint Paul en Terre Sainte et en Grèce. A Bethléem, je suis tombée par hasard sur un atelier d’écriture d’icônes. C’était passionnant et très complémentaire de ce que je connaissais déjà. Cela m’a permis « d’approfondir » mon art, et puis je retrouvais mes racines est-européenne (ma famille est d’origine roumaine). En 2013 j’ai commencé à travailler à l’ESAM (Ecole supérieure des arts et médias). Je gérais l’atelier de gravure de l’école. Je suis restée là-bas deux ans puis je suis retournée à Paris pour me consacrer totalement à la préparation des différentes expositions qui ont eu lieu cette année.
La gravure est un art qui semble très technique
Oui, c’est aussi bien un art qu’une technique, ou plutôt plusieurs techniques. C’est devenu davantage un art depuis que les moyens modernes permettent la reproduction des œuvres. La photographie a balayé le côté utilitaire de la gravure !
La gravure en taille d’épargne (généralement sur bois) est la technique la plus ancienne : sur une planche de bois (du bois debout de préférence, taillée dans l’épaisseur du tronc et pas dans sa longueur – c’est beaucoup plus solide), je creuse des sillons avec une gouge. Au final, tout ce que je creuse restera blanc, ce qui reste sera encré. Puis, j’applique l’encre au rouleau sur le support que l’on appelle matrice ensuite j’applique au-dessus une feuille que je passe sous la presse.
C’est difficile, car tu dois voir l’image en « négatif »
Deuxième technique : la gravure taille-douce (on grave sur un « métal doux », c’est-à-dire une feuille de métal lisse et polie). L’artiste creuse la plaque de cuivre avec un outil pour obtenir des sillons et un dessin gravé destiné à être encré et imprimé.
L’eau forte est une autre technique, qui permet de gagner du temps. La plaque est recouverte de vernis. Avec une pointe, le graveur dessine son œuvre, puis la plaque est plongée dans un bain d’acide qui vient mordre le métal à nu. Plus le bain est long, plus la ligne est creusée, plus le résultat sera sombre (la taille sera plus large et plus profonde, elle accueillera plus d’encre). Par bains successifs, on peut obtenir tous les gris et noirs que l’on veut. Cette technique trouve son apogée au XVIIIe siècle, elle permettait de reproduire rapidement et de diffuser plus largement les œuvres peintes des grands maîtres.
Pourtant ce n’est pas de la peinture ?
Non, mais la gravure s’est toujours positionnée par rapport à la peinture. En gros, la gravure, c’est un peu une peinture que l’on peut reproduire à l’infini. Jusqu’à présent, on s’attachait aux lignes, aux traits. Avec la quatrième technique, on aborde la notion de surface. L’aquatinte permet en effet, par un processus assez complexe d’obtenir des surfaces quasi homogènes.
Et la couleur dans tout ça ?
C’est le troisième grand travail des graveurs, après le dessin et la taille : l’impression. Avant, les métiers étaient séparés : il y avait le dessinateur qui créait, le graveur et l’imprimeur. Par exemple, assez rapidement, Gustave Doré ou Hokusai ont délégué la gravure et l’impression à des assistants pour se concentrer sur le dessin. Au XXe siècle les artistes aimaient toucher à la gravure qui est devenue grâce à eux un art à part entière. Maintenant, il n’existe plus de graveurs qui reproduiraient l’œuvre d’un artiste. Chacun crée et grave son propre travail, mais l’impression est encore un métier qui à son importance, la plupart des artistes font imprimer leurs gravures dans les quelques ateliers qui tournent encore en France et à Paris en particulier.
Pour la couleur, il y a plusieurs méthodes. Soit, on place toutes les couleurs directement sur la plaque. Il faut avouer que c’est une horreur, car c’est très difficile de ré-encrer de la même manière. Certains vont mettre jusqu’à dix couleurs sur la même plaque… La technique la plus utilisée est l’impression de plusieurs plaques (une couleur par plaque) imprimées en superposition sur le même papier.
Tu utilises un papier spécial ?
Un papier traditionnel en chiffon et non pas du papier couché. En effet, il faut pouvoir l’humidifier pour qu’il devienne souple… sans qu’il se déchire comme le papier que nous utilisons au quotidien.
La gravure est un métier où il faut savoir accepter ses erreurs. De toute manière, on ne maîtrisera jamais tout. Avec l’expérience et la connaissance précise de ses outils, le risque d’erreur diminue. Il faut savoir changer son œuvre en fonction de l’évolution du travail : pour un paysage, ce n’est pas trop compliqué, pour un visage beaucoup plus.
Il faut une bonne dose d’humilité. Et au final, pourquoi fais-tu cela ?
C’est vrai que c’est un art qui demande beaucoup de patience et qui n’est pas très « rentable ». Mais je ne fais pas de la gravure pour ça. Bien sûr, je suis contente de produire de belles œuvres décoratives – là, on est plus dans l’artisanat d’art. Mais au fur et à mesure de ma recherche, je me suis rendue compte que je voulais aussi transmettre, par la gravure, ce qui était important pour moi, et notamment ma foi. C’est ainsi que depuis quelque temps, je travaille beaucoup sur le visage du Christ. Cela plaît ou non, mais qu’importe, au moins je dis ce qui est essentiel à ma vie.
J’aimerais déjà avoir mon atelier avec ma propre presse pour pouvoir imprimer mes œuvres facilement. Je vais poursuivre mon travail de recherche : c’est parfois difficile car il y a toujours la peur de l’imposture – suis-je une bonne artiste ? Il faut que je continue à travailler. L’excellence est une nécessité, surtout pour un artiste chrétien.
Merci Camille.
Pour voir les œuvres de Camille, c’est ici : https://camilleoarda.com
Par ailleurs, Camille exposera à Lyon à partir du 7 octobre au Simone