Voiture autonome, diffusion de contenu, collecte d’informations… l’avenir d’Uber se décide aujourd’hui. Comment la plateforme de véhicules à la demande adapte en permanence son business-model à l’évolution de la technologie et des usages ?
Uber compte plus d’un million de chauffeurs dans le monde. C’est la richesse de la plateforme de transports. “Le service qui a le plus de chauffeurs est le moins cher et le plus efficace”, précise Kevin Echraghi, analyste et l’un des co-auteurs de l’étude Uber : the transportation virus de FaberNovel. C’est aussi son talon d’achille, les chauffeurs étant libres de se vendre au plus offrant. Par ailleurs, cela pose des questions sociétales. Les chauffeurs ne sont en effet pas considérés comme des salariés mais comme des travailleurs indépendants. Dans quelle mesure est-ce que cela menace le modèle et comment Uber s’organise pour y remédier ? Éléments de réponses.
Un risque d’ubérisation ?
Pour Kevin Echraghi, le risque qu’Uber soit “ubérisé” par ses chauffeurs reste limité. “La plupart des concurrents finissent par s'aligner sur les prix d'Uber. Donc les chauffeurs ont tendance à rester.” Dans le cas contraire ils “travaillent pour les deux acteurs dominant et partagent leur temps entre les deux services.” À la fois Uber et Chauffeurs Privés en France ou Lyft aux Etats-Unis. Même les nouveaux acteurs qui proposent “des offres plus attractives pour les chauffeurs en leur prenant deux fois moins de commission et en leur donnant des parts de l’entreprise” ne parviennent pas encore à mettre en péril la plateforme franciscaine. Pourtant, depuis octobre 2015, beaucoup de travailleurs Uber se plaignent de la baisse des prix pratiquée par l’entreprise. Certains la quittent donc… mais d’autres continuent de l’intégrer.
Le turn-over est en effet réputé important. Aux États-Unis, il est estimé à 50%. En France, quand un chauffeur part, vingt arrivent, d’après les dires de Jean-Luc Albert, président de l'association Actif VTC à un autre micro. Tant qu’il y aura des chauffeurs, l’entreprise ne sera pas menacée. Ce modèle impacte en revanche directement la société. D’après la récente étude des économistes Augustin Landier et David Thesmar, intitulée “Working in the on-demand economy ; an analysis of uber driver-partners in France”, travailler comme chauffeur Uber est un moyen d’éviter le chômage. L’étude révèle en effet que 25% des travailleurs UberX étaient sans emploi avant de commencer cette activité, et 43% d’entre eux l’étaient depuis plus d’un an.
Par ailleurs, certains chauffeurs utilisent la plateforme uniquement temporairement, dans l’objectif de se constituer une clientèle fidèle. Leur but avoué est de pouvoir se passer de l’intermédiaire Uber. Ce type de raisonnement signe-t-il la fin de la stratégie de plateforme ? La question se pose pour d’autres entreprises. Les spécialistes de la réservation, d’hôtels pour Booking ou de restaurants pour La Fourchette sont confrontés à la même difficulté. Les entreprises partenaires sont souvent tentées comme les chauffeurs de demander aux clients de les contacter directement sans passer par la plateforme. Cela aurait un effet marginal sur Uber selon l’analyste de FaberNovel. “Je raisonne par rapport à mon expérience personnelle parce qu'on est utilisateur avant tout. Le moment venu, je préfère utiliser Uber et avoir la certitude d'avoir une voiture au bon moment, rapidement et à moindre coût plutôt que chercher le numéro du chauffeur sur mon téléphone sans savoir s’il est proche. Je pense que ce type de méthode peut émerger mais pas que cela va pouvoir concurrencer Uber.”
La voiture autonome à la rescousse d’Uber
Pour remédier à ce risque, Uber s’emploie à mettre en oeuvre une solution quasiment infaillible si efficace : la voiture autonome. Depuis 2015 dans son centre de Pittsburgh, l’entreprise de transport développe la technologie qui lui permettra de se passer de travailleurs humains dans les véhicules. Elle a pour cela engagé des douzaines de chercheurs en robotique de l’Université de Carnegie-Mellon et a consacré plusieurs centaines de millions de dollars au projet tout en promettant d’investir encore plus d’un milliard dans les années à venir. Et les premiers résultats concrets de cette initiative ont été annoncés le 14 septembre : quatre Ford Fusion autonomes font désormais partie de la flotte d’Uber en Pennsylvanie. Ces nouveaux véhicules sont notamment équipés de sept caméras pour détecter la couleur des feux de signalisation, d’un système de radar pour les conditions météo et de vingt faisceaux laser pour repérer en permanence l’environnement immédiat de la voiture, à 360 degrés sur une carte en trois dimensions.
Par mesure de sécurité, un technicien est toujours derrière le volant et une deuxième personne occupe le siège passager pour analyser la conduite. “Le technicien est là seulement en cas de force majeur et surtout parce que c'est pour l'instant obligatoire légalement qu'il y ait un chauffeur”. Quant à l’autre personne, elle a pour rôle de “faire des ajustements et comprendre l'évolution de la voiture autonome. Toutes les données qu'ils vont recueillir en roulant dans les rues seront réinvesties dans leur propre recherche”, précise Kevin Echraghi. Ce service en est encore à ses balbutiements et seuls les mille clients les plus fidèles à Pittsburgh y auront accès s’ils le souhaitent. Bien que l’avancée soit évidente, le temps où les chauffeurs seront complètement remplacés n’est pas encore arrivé. Avec cette expérience, Uber reproduit des initiatives existantes, comme celle de l’entreprise Delphi Automative à Singapour dont L’Atelier s’est fait l’écho il y a peu.
La législation est également toujours un obstacle puisque la circulation des véhicules sans conducteurs n’est pas encore autorisée, ni en Pennsylvanie, ni en France. Le test de ces voitures sur les routes y est en revanche permis, ce qui laisse présager une évolution des normes. Pour s’en assurer, Uber et “tous ceux qui sont investis dans la course à la voiture autonome : Volvo, Google, Lyft, Ford... ont créé la Self-Driving Coalition, un groupe de lobby qui a pour objectif de discuter avec le législateur et les régulateurs pour prouver les bienfaits de la voiture autonome et faire en sorte qu’elle soit bien accueillie. Tous ces acteurs ont mis de côté leur compétition pour faire avancer la loi et créer un marché sur lequel ils pourront être en concurrence”. Kevin Echraghi confirme que l’avènement de la voiture autonome ainsi qu’Uber et les autres services de véhicules à la demande transformeront les usages. “Je pense que cela peut faire baisser le parc automobile. Notre génération a des revenus inférieurs aux générations précédentes et n'est pas prête à dépenser trop d'argent pour posséder une voiture. À mesure que les prix diminuent, et la voiture autonome va vraiment réussir à faire diminuer ces prix de transport, je ne vois pas pourquoi on continuerait à posséder une voiture sauf par plaisir, par matérialisme ou alors pour des préoccupations en lien avec la liberté de mouvements.” Il voit encore plus loin : “ce n'est pas impossible qu'à terme on interdise les voitures non autonomes parce que statistiquement on n'est plus en sécurité dans une voiture autonome quand dans une voiture conduite manuellement : il y a moins de mort, moins d'erreurs.”
Comment Uber s’adapte aux changements
Le secteur du transport va donc connaître des changements majeurs dans les années à venir. Pour les anticiper et être en mesure de s’y adapter le mieux possible Uber évolue constamment. L’étude de FaberNovel répertorie les missions d’entreprise de ces dernières années pour étudier cette évolution. “Au début c’était “on va être un chauffeur privé pour tous”, ensuite, “le transport aussi fiable que l’eau courante” et maintenant c'est “déplacer des atomes et de l'information””. Uber souhaite désormais “capter autant du marché du transport que possible et ”se développent sur l'ensemble des usages possibles de la voiture” comme l’explique l’analyste.
Besoin de se déplacer d’un point A à un point B ? C’est la raison d’être du service. “Les gens sont prêts à être conduits par un chauffeur amateur s’ils paient moins chers ? Ils créent Uber Pop (Uber X aux Etats-Unis). Les clients acceptent de sacrifier l'expérience et perdre un peu plus de temps ? Uber Pool leur permet de partager la course” avec des inconnus. La livraison sur le même modèle peut être utile ? Pour la nourriture, il y a Uber Eats et pour les colis, Uber Rush. “C’est également une manière d’optimiser leur flotte de véhicule, de faire travailler leurs chauffeurs le plus de temps possible”, analyse Kevin Echraghi.
Quid du futur ? “Certains pensent qu'ils pourraient se lancer dans le marché de l'aviation. Le transport longue distance est aussi envisageable, après tout ils font déjà de la moyenne distance entre banlieue et ville aux Etats-Unis.” L’analyste considère aussi l’aspect "temps de trajet disponible" qu’il associe au "temps de cerveau disponible”. Il l’interprète comme étant la partie “déplacer de l’information” de la mission d’entreprise. “Ils peuvent se dire : on a des gens dans une voiture pendant x temps et on peut leur diffuser du contenu, donc on va se placer comme une plateforme entre des médias et l'utilisateur. Ils peuvent aussi devenir des capteurs d'information comme peut l'être Facebook et se placer comme des collecteurs d'information sur le trafic qu’ils vont vendre aux municipalités, au gouvernement, à toute personne intéressée.”
Reste à savoir s’ils vont préférer un modèle “très fermé comme celui d'Apple et vouloir convaincre absolument les gens d'utiliser leur technologie dans leur voiture” ou plutôt “choisir un système plus ouvert comme Google en disant : ce qu’on propose c’est de la mise en relation, c’est d’être les orchestrateurs du marché du transport en général et donc on est prêt à intégrer tous les services imaginables. Si vous êtes un constructeur automobile et que vous construisez des voitures autonomes on peut les gérer pour vous et transporter des gens avec, moyennant rétribution. Si vous êtes un train, un métro, ou un service de location de vélos, on peut diriger les gens vers vous”. L’analyste trouve la deuxième option plus plausible. L’avenir nous le dira.