Le premier jour de notre rencontre, je trouvais dans votre visage certains traits, certains passages moins doux, peut-être. Maintenant ce sont ceux-là que je préfère ; je ne les regarde jamais sans une tendresse immense, sans une grande envie de vous parler plus amicalement encore.
Il y a des gestes, des phrases, des mouvements de fonds que j'ai recueillis précieusement, sans que vous le sachiez : je me rappelle, le premier jour, votre façon de me regarder en face tout d'un coup - comme on regarde quelqu'un qui ment. Je me rappellerai toujours le son de votre voix, si simple, si grave et si drôle. [...] Je n'oublierai jamais cette émotion qui m'a bouleversé, le soir du premier vendredi, lorsque, sentant mes coudes écorchés, j'ai compris tout à coup : " c'est que, plusieurs heures, je suis resté accoudé, penché sur elle ". [...] Je me rappellerai encore bien d'autres choses plus belles, comme ces grands frissons qui vous traversent et vous font tant de mal et qui sont beaux pourtant. C'est ainsi que vous me faites mal et que je vous aime pourtant.
- Lettre d'Alain Fournier à Jeanne, 1910