Alain Mabanckou : Le monde est mon langage

Par Gangoueus @lareus

Je viens de terminer un ouvrage remarquable du congolais Alain Mabanckou. Le monde serait son langage. Le monde francophone je dirais. Je me suis particulièrement délecté à la lecture de cet ouvrage car j’ai retrouvé une nouvelle fois mais de manière plus explicite le passeur de mots et de lettres qu’est Alain Mabanckou. Depuis la douzaine  d’années que je suis son activité littéraire, que ce soit dans ses oeuvres, par le biais de l’enseignement, des nouvelles technologies qui permirent par le moyen du blog à n’importe quelle personne connectée de pouvoir s’exprimer, par les médias et plus récemment au Collège de France, le fait est têtu : Alain Mabanckou aime parler des autres.
C’est ainsi qu’à l’époque de son blog intitulé Le crédit a voyagé, je découvris par son entremise de nombreux auteurs comme Yahia Belaskri, Gary Victor, Bessora et bien d’autres… Ce blog dont j’ai toujours regretté la fermeture fut un grand lieu de rencontres de la Francophonie littéraire. Et pour être honnête, rien n’a été fait d’aussi efficace depuis 2008. Parce que je les côtoie souvent, une vérité qui s’est imposé à moi est que les écrivains aiment qu’on parle (en bien) d’eux et de leurs oeuvres. C’est pourquoi, Mabanckou même s’il est souvent attaqué, le fait est qu’il est l’un des meilleurs ambassadeurs des lettres francophones. Un principe spirituel veut que celui qui donne finit tôt ou tard par recevoir. Je pense que la notoriété de cet auteur s’inscrit dans cette philosophie qui  ne ment pas pour reprendre une expression ivoirienne.
On ne peut donc pas aborder ce nouveau livre de Mabanckou sans avoir ce background. Aussi dans ce livre que je définirai un peu comme un essai romancé à l’image de l’ouvrage de Sami Tchak publié il y a deux ans à la Cheminante La couleur de l’écrivain, Alain Mabanckou nous introduit dans l’univers de grands auteurs francophones ou s’exprimant en français et qu’il côtoie régulièrement ou qui ont influencé sa littérature. Le Clézio, Eduardo Manet, Camara Laye, Aminata Sow Fall, Douglas Kennedy, Jacques Rabemananjara, Bessora, Sony Labou Tansi, Edouard Glissant, Dany Laferrière, Gary Victor et bien d’autres… La liste est loin d’être exhaustive.

Chaque fois, Alain Mabanckou procède différemment. Par exemple avec Le Clézio, c’est au travers de deux rencontres que l’auteur congolais nous narre le romancier français nobélisé. Récits de deux rencontres où il nous donne des clés pour comprendre cet auteur pour introduire une présentation de l’oeuvre de Le Clézio en abordant en particulier la singularité de cet homme ayant un ancrage familial du côté de l’Ile Maurice et surtout un père médecin qui a travaillé en Afrique. On comprend au travers des mots d’Alain les raisons de l’ouverture de ce grand romancier français vers d’autres mondes, d’autres cultures. Mabanckou s’appuie sur des oeuvres centrales de l’auteur sur ces thèmes comme Orishas, L’Africain ou Ritournelle de la faim.

Le Caire

C’est donc un voyage dans un monde plutôt francophone ou francophile qu’Alain Mabanckou nous conduit. Son monde à lui, fait d'hommes ou de femmes de lettres qu’il côtoie, qu’il lit. C’est aussi des rencontres inattendues comme cette interpellation, par le biais d'une missive, d’un jeune poète congolais, Jean-Baptiste Matingou, basé en Egypte qui l'interroge sur l’intérêt a accordé aujourd'hui à ce genre littéraire dans lequel il s’exprime et qu’Alain Mabanckou aurait abandonné. Dans sa réponse, Alain porte une réflexion sur la poésie, sur l’époque dans laquelle nous vivons et les nouvelles formes d’expression de ce genre littéraire. Alors que j’ai été confronté cet été des poètes - dans le cadre de la préparation de plusieurs émissions littéraires - à la difficulté de trouver des lecteurs de poésie, l’analyse de Mabanckou est très pertinente. Après, le public peut ne pas être au rendez-vous, mais si c’est la voie d’expression choisie par un écrivain, elle ne saurait se soumettre à la désertion du lectorat...

Madagascar

C’est aussi le portrait de Jacques Rabemananjara, le grand poète malgache, quatrième tête du mouvement de la négritude. Là encore, le professeur de littérature de UCLA nous fait découvrir Jean-Joseph Rabearivelo, considéré comme le père de la littérature malgache moderne qui a mis fin à ses jours à l’âge de 37 ans. En quelques pages, avec une narration agréable, il brosse la filiation entre ces deux poètes avant de suivre le parcours du poète. A chaque fois, en terminant la lecture d’un portrait, on a sincèrement envie d’en savoir plus et de se plonger dans la lecture de ce poète oublié du mouvement de la négritude.

Sainte-Marie

Que dire d’Edouard Glissant, de ses principales oeuvres littéraires, de l’opacité de nombre d’entre elles et en même temps de quelques clés de lecture proposées dans l'escale à Pointe-à-Pitre? Il revient sur des nuances dans le positionnement de Glissant d’abord dans le sillage de Césaire et de la négritude puis de sa démarcation nette par le développement du concept de la créolisation qui n’est pas à confondre avec la créolité de Bernabé, Chamoiseau ou Confiant. Nous sommes dans les Antilles françaises, ces îles-monde selon Glissant qui dessineraient - par le métissage et leur diversité - le contour de l'humanité qui vient, imprégnée par les échanges ininterrompus qu'autorise la mondialisation.


New York, Dublin, Paris, Marrakech

Les portraits sont nombreux. Drôles parfois. Comme cette discussion de bar avec l’Américain Douglas Kennedy. Là encore, c’est une approche originale d’un auteur américain dont les plus grands succès littéraires ont été réalisés en France. Ce pays reste dans l’imaginaire américain et chez les écrivains un lieu d’éclosion de plumes américaines. Ils n’hésitent pas remonter le temps avec Chester Himes, Richard Wright ou James Baldwin (un peu plus connu à son arrivée en France). Les anecdotes concernant Douglas Kennedy sont croustillantes et elles ont attrait avec le rapport de l’écrivain new-yorkais avec la langue française qu'il a apprivoisé avec beaucoup de volonté.
Je n'ai cité que quatre escales du voyage. Il y a 21 pauses littéraires.C’est à la fois l’enseignant, l’écrivain, le blogueur, le critique littéraire, le fils de Pointe-Noire qui s’exprime dans cet ouvrage. J’imagine que certains regretteront de ne pas faire partie du panel. Profitant de la notoriété et de l’influence plus importante que son passage au Collège de France lui ont accordé, l’écrivain sapeur tente une nouvelle fois de placer les lettres francophones au coeur de l’espace littéraire français. Classé dès sa sortie, parmi les meilleures ventes, il est probable qu’il atteigne cet objectif pour un public curieux.
Alors si vous voulez en savoir plus sur des auteurs  appartenant au monde du langage d’Alain Mabanckou, si un grand voyage en Afrique, dans les îles, en Amérique latine, en Amérique du nord, votre ticket peut-être ce livre très bien écrit. Un petit regret toutefois : les plumes issues venant au-delà du périphérique sont oubliées. Saint-Denis aurait mérité un détour, mais peut-être que l'expression des banlieues françaises n'est pas suffisamment significative selon Mabanckou. Cela ne retire pas à ce livre son ouverture et les possibilités nombreuses Ernesto Sabato, Gabriel Garcia Marquez, JM Le Clezio, Sony Labou Tansi, Tchicaya U Tam'Si, Chinua Achebe, Joseph Conrad, Camara Laye, Douglas Kennedy, Yahia Belaskri, Edouard Glissant, Gary Victor, Dany Laferrière, etc.
Bonnes lectures.
Alain Mabanckou, Le monde est mon langageEditions Grasset, première parution, 318 pagesCopyright photo A. Mabanckou - Jean-Michel Nzikou